mardi 25 août 2009

Fernando Pessoa... extrait de Poèmes désassemblés...

Le type qui prêche ses vérités à lui
est encore venu hier me parler.
Il m'a parlé de la souffrance des classes laborieuses
(non des êtres qui souffrent, tout bien compté les vrais souffrants).
Il parla de l'injustice qui fait que les uns ont de l'argent,
et que les autres ont faim - faim de manger
ou faim du dessert d'autrui, je ne saurai dire.
Il parla de tout ce qui pouvait le mettre en colère.

Comme il doit être heureux, celui qui peut penser au malheur des autres !
Et combien stupide, s'il ignore que le malheur des autres n'est qu'à eux,
et ne se guérit pas du dehors,
car souffrir ce n'est pas manquer d'encre
ou pour la caisse n'avoir pas de feuillards !

Le fait de l'injustice est comme le fait de la mort.
Pour moi, je ne ferais pas un pas afin de modifier
ce qu'on appelle l'injustice du monde.
Mille pas que je ferais à cet effet,
cela ne ferait que mille pas de plus.

J'accepte l'injustice comme j'accepte qu'une pierre ne soit pas ronde,
ou qu'un chêne-liège ne soit né pin ou chêne à glands.

J'ai coupé l'orange en deux, et les deux parties ne pouvaient être égales;
pour laquelle ai-je été injuste - moi qui vais les manger toutes les deux ?



(Le gardeur de troupeaux, Poèmes désassemblés, Fernando Pessoa)


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