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mardi 16 août 2011

Dupain ("l'usina")





Dupain est un groupe musical français, connu principalement pour ses chants en occitan.

Ils sont cinq actuellement, originaires du sud, rassemblés à Marseille.

Samuel Karpienia – Chant
Pierre-Laurent Bertolino – Vielle à roue
Samuel de Agostini – Batterie
Daniel Gaglione – Mandole
Noël Baille – Basse

Un chant contestataire et humaniste. Une musique qui mêle des instruments traditionnels électrifiés, comme la vielle à roue, la mandole, des percussions orientales, un accordéon percutant ! Un son de samples, cordes saturées, occitan, accent de la cité phocéenne. Des accents de flamenco andalou, de blues méditerranéen.

>> Dupain (myspace)

samedi 2 juillet 2011

Rocé (ma saleté d'espérance)


Rocé - "Ma saleté d'espérance" par No_format


Originaire de Bab El-Oued et élevé en banlieue parisienne, Rocé a toujours défié tous les clichés du rap avec des textes très riches en images et en métaphores. Il sait à la fois se faire intelligemment revendicatif, plus abstrait ou descriptif d'attitudes afin de les dénoncer. Il peut ainsi amener tout à la fois à la réflexion ou à communiquer plus directement avec des phrases très parlantes.





>>ROCé

mercredi 29 juin 2011

Mahmoud Darwich (Rita)



Mahmoud Darwich (en arabe : محمود درويش), né le 13 mars 1941 à Al-Birwah en Galilée (Palestine sous mandat britannique) et mort le 9 août 2008 à Houston (Texas, États-Unis), est une des figures de proue de la poésie palestinienne.

Profondément engagé dans la lutte de son peuple, il n'a pour autant jamais cessé d'espérer la paix et sa renommée dépasse largement les frontières de son pays. Il est le président de l'Union des écrivains palestiniens. Il a publié plus de vingt volumes de poésie, sept livres en prose et a été rédacteur de plusieurs publications, comme Al-jadid - (الجديد - Le nouveau), Al-fajr (الفجر - L'aube), Shu'un filistiniyya (شؤون فلسطينية - Affaires palestiniennes) et Al-Karmel (الكرمل) . Il est reconnu internationalement pour sa poésie qui se concentre sur sa nostalgie de la patrie perdue. Ses œuvres lui ont valu de multiples récompenses et il a été publié dans au moins vingt-deux langues.

Dans les années 1960, Darwich a rejoint le Parti communiste d'Israël, le Rakah, mais il est plus connu pour son engagement au sein de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Élu membre du comité exécutif de l'OLP en 1987, il quitte l'organisation en 1993 pour protester contre les accords d'Oslo. Après plus de trente ans de vie en exil, il peut rentrer sous conditions en Palestine, où il s'installe à Ramallah.

Mahmoud Darwich est né en 1941 à Al-Birwah, en Galilée, à 9 kilomètres à l'Est de Saint-Jean-d'Acre en Palestine sous mandat britannique, aujourd'hui Israël. Il est le deuxième enfant d'une famille musulmane sunnite de propriétaires terriens, avec quatre frères et trois sœurs. Après l'établissement d'Israël en 1948, le village fut rasé entièrement et la famille Darwich s'enfuit au Liban, où elle resta un an, avant de rentrer clandestinement en Palestine où elle découvre que leur village a été remplacé par un nouveau village juif. La famille s'installe alors à Dair Al-Assad.

Darwish a commencé ses études primaires à Dair Al-Assad, tout en vivant sous la menace constante d'être découvert et exilé par la police israélienne. Plus tard, il finit ses études secondaires à Kufur Yasif, deux kilomètres au Nord de Jdeideh. Enfin, il part pour Haïfa. Son premier recueil de poésie fut publié quand il avait dix-neuf ans (Asafir bila ajniha, Oiseaux sans ailes, 1960). En 1964, il sera reconnu internationalement comme une voix de la résistance palestinienne grâce à Awraq Al-zaytun (Feuilles d'olives). Ce recueil deviendra très populaire notamment avec le poème Carte d'Identité.

À la fin de ses études, Mahmoud Darwich commence à publier des poèmes et des articles dans des journaux et magazines comme Al-Itihad et Al-Jadid, pour lequel il deviendra plus tard rédacteur. En 1961, il rejoint secrètement le Parti communiste d'Israël, le Maki, et commence à travailler comme rédacteur adjoint de Al-fajr.

Il sera plusieurs fois arrêté et emprisonné pour ses écrits et activités politiques entre 1961 et 1967. Pendant cette période, Darwich rêve de révolution et chante la patrie, la défense de l'identité niée des siens et la solidarité internationaliste. Le poème Identité (Inscris : Je suis arabe), le plus célèbre de son recueil Rameaux d'olivier publié en 1964, dépassent rapidement les frontières palestiniennes pour devenir un hymne chanté dans tout le monde arabe.

En 1970, assigné à résidence à Haïfa à la suite de la publication d'articles politiques jugés trop virulents par la justice en Israël, il demande un visa d'étudiant pour quitter le pays. Il se rend à Moscou. Il y étudie l'économie politique. Il disparaît en 1971. On le retrouve quelques temps plus tard au Caire, où il travaille pour le quotidien Al-Ahram. Puis il part s'installer à Beyrouth, en 1973, il dirige le mensuel Shu'un Filistiniyya (Les affaires palestiniennes) et travaille comme rédacteur en chef au Centre de Recherche Palestinien de l'OLP et rejoint l'organisation. En 1981, il crée et devient rédacteur en chef du journal littéraire Al-Karmel.

Pendant l'été 1982, Beyrouth est l'objet de bombardements du 13 juin au 12 août, l'armée israélienne cherchant à faire fuir l'OLP de la ville. Darwich relatera la résistance palestinienne au siège israélien dans Qasidat Bayrut (1982) et Madih al-xill al'ali (1983). Le poète repart en exil, au Caire, à Tunis puis à Paris. En 1987, il est élu au comité exécutif de l'OLP.

Un an plus tard, en 1988, un de ses poèmes, En traversant les mots passants, est discuté à la Knesset ; il est accusé de souhaiter voir partir les Juifs d'Israël. Mahmoud Darwich s'en défendra en expliquant qu'il voulait dire qu'ils devaient partir de la Bande de Gaza et de Cisjordanie. Le poète écrivit :

« Alors quittez notre Terre
Nos rivages, notre mer
Notre blé, notre sel, notre blessure. »

Membre du comité exécutif de l'OLP, président de l'Union des écrivains palestiniens, Mahmoud Darwich est le fondateur et le directeur de l'une des principales revues littéraires arabes, Al-Karmel, qui a cessé de paraître en 1993. La même année, après les accords d'Oslo, Mahmoud Darwish quitte l'OLP, protestant contre l'attitude conciliante de l'Organisation dans les négociations et préférant une paix mais une paix juste.

Il continue à être rédacteur en chef du magazine Al-Karmel, et vit à Paris avant de retourner en Palestine en 1995, ayant reçu un visa pour voir sa mère. Il eut ainsi la permission de retourner en Palestine pour les funérailles de son ami l'écrivain Emile Habibi et de visiter la ville où il a vécu mais pour quelques jours seulement. Il reçoit une autorisation de séjour des autorités israéliennes et s'installe dans une ville de Cisjordanie, Ramallah, ville où Yasser Arafat avait ses quartiers. La ville deviendra un champ de bataille en 2002.

En mars 2000, Yossi Sarid, ministre israélien de l'Éducation, proposa que certains des poèmes de Mahmoud Darwish soient inclus dans les programmes scolaires israéliens. Mais le premier ministre Ehud Barak refusa, « Israël n'est pas prêt. »

Il est décédé le 9 août 2008 aux États-Unis dans un hôpital de Houston1, où il avait subi une intervention chirurgicale et se trouvait dans un état critique suite à des complications liées à l'opération. Il avait déjà subi deux opérations du cœur en 1984 et 1998.

Après avoir reçu les honneurs à Amman en Jordanie où sa dépouille était arrivée des États-Unis, il a eu des obsèques nationales à Ramallah en présence de nombreux dignitaires palestiniens dont le président de l'autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Il est enterré dans un lopin de terre près du palais de la Culture de Ramallah.


L'œuvre de Darwich, essentiellement poétique, est une véritable défense et illustration d'une terre, d'un peuple, d'une culture en même temps qu'une entreprise hardie de genèse littéraire. Elle est hantée d'un bout à l'autre par une seule idée, une seule référence, un seul corps : la Palestine. La solitude et le désarroi de l'exil exprimés côtoient l'acceptation noble et courageuse où le désespoir profond devient générateur de création, porteur d'une charge poétique intense.

L'œuvre en prose de Darwich comprend un récit, Une mémoire pour l'oubli, qui restitue un jour de la vie d'un homme, le poète lui-même, pendant le siège de Beyrouth en 1982 par les troupes israéliennes.

Beaucoup des poèmes de Mahmoud Darwich ont été interprétés par des chanteurs tels que Marcel Khalifé, Magida El Roumi, et Ahmed Qa'abour.
En 1984, Marcel Khalifé compose et dirige Ahmad al Arabi, un opéra poétique écrit par Mahmoud Darwich. Les chanteurs sont Marcel Khalifé et Oumayma el-Khalil, les chœurs sont assurés par l'ensemble al-Mayadine.
Un disque a été enregistré au Pass Studios, à Beyrouth (Liban) et est disponible dans tous les magasins en France.
Le livret traduit de l’arabe (Palestine) par Etel Adnan peut-être consulté ici.
En 1996, 1999 et 2003, le célèbre musicien Marcel Khalifé a été trainé en justice pour blasphème et insulte aux valeurs religieuses, à cause d'une chanson intitulée Je suis Joseph, oh père, qui a été écrit par Darwish et citait un verset du Coran. Dans ce poème, Darwich partageait la peine de Joseph, rejeté voir haï par ses frères car trop honnête et bon. "Oh mon père, Je suis Joseph, et mes frères ni ne m'aiment ni ne me veulent parmi les leurs." Mais certains chefs religieux prennent sa défense comme Youssef al Qaradawi ce qui calma les tensions.
Le Trio Joubran ont accompagné à plusieurs reprises au son du Oud des récitals de Mahmoud Darwish, dont le tout dernier à Arles en juillet 2008. En 2002, la chanteuse comédienne Dominique Devals et la Mini Compagnie Laccarrière ont mis en musique "Onze astres sur l'épilogue andalou" (suite de onze poèmes évoquant le départ des Arabes de l'Andalousie), traduits en français par Elias Sanbar aux éditions Actes Sud. La musique est signée par Philippe Laccarrière, contrebassiste de Jazz, et l'œuvre a été enregistrée en 2006 sur CD. Les mêmes ont également mis en musique, cette fois pour un big band de Jazz "le dernier discours de l'homme rouge", poème en hommage aux Indiens d'Amérique, interprété pour la première fois en présence de Mahmoud Darwich en novembre 2006 à l'Unesco.




*

RITA (poème de Mahmoud Darwich chanté et mis en musique par Marcel Khalifa)


Marcel Khalife : rita et le fusil

Entre Rita et mes yeux : un fusil
Et celui qui connaît Rita se prosterne
Adresse une prière
A la divinité qui rayonne dans ses yeux de miel

Moi, j’ai embrassé Rita
Quand elle était petite
Je me rappelle comment elle se colla contre moi
Et de sa plus belle tresse couvrit mon bras
Je me rappelle Rita
Ainsi qu’un moineau se rappelle son étang
Ah Rita
Entre nous, mille oiseaux mille images
D’innombrables rendez-vous
Criblés de balles.

Le nom de Rita prenait dans ma bouche un goût de fête
Dans mon sang le corps de Rita était célébration de noces
Deux ans durant, elle a dormi sur mon bras
Nous prêtâmes serment autour du plus beau calice
Et nous brulâmes
Dans le vin des lèvres
Et ressuscitâmes

Ah Rita
Qu’est-ce qui a pu éloigner mes yeux des tiens
Hormis le sommeil
Et les nuages de miel
Avant que ce fusil ne s’interpose entre nous

Il était une fois
Ô silence du crépuscule
Au matin, ma lune a émigré, loin
Dans les yeux couleur de miel
La ville
A balayé tous les aèdes, et Rita
Entre Rita et mes yeux, un fusil.





>> Mahmoud Darwich - textes

vendredi 10 juin 2011

Granmoun Lélé

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GranMoun lélé - ah soléyé par dino974

Granmoun Lélé fait du maloya comme on respire. C’est dans sa case de Bras-Fusil qu’il a composé l’essentiel de son répertoire, plus de deux cents chansons qui parlent de sa quotidienneté, de ses rêves, s'inspirant pour ses rythmes de son environnement naturel comme I’océan «le petit désordre de la mer, pour moi, la forme comme une musique». Le maloya du clan Lélé est comme un zambrokal réussi, ce plat créole à base de riz, viande fumée, grains secs ou verts, épices, dans lequel chaque élément s'imprègne des autres tout en gardant une certaine particularité. On le sent dans le second disque, qui, après l'album Namouniman déjà plein de saveurs, met la barre encore plus haut.
C’est que depuis le début des années quatre-vingt, le maloya sous ses différentes acceptions a connu un large écho à la Réunion comme à l'extérieur. Granmoun Lélé, arrivé tardivement dans l’arène internationale, aurait pu s’en tenir au statut d'ancien, mais c’est lui qui s’est révélé un des meilleurs dynamisateurs du patrimoine. En entendant ses arrangements vocaux, les colorisations inédites qu’il apporte au travail percussif de son big band par l'adjonction de nouveaux instruments (djembé, apungalachi, sati, cloches…), on touche une plénitude sonore.

Julien Philéas est né un 28 février 1930 à Saint-Benoît, côte est de l'île de la Réunion. Parce qu'à l'heure du goûter sa mère criait toujours "Julien, lé lait!", il acquiert le surnom de "Lélé". Père malabar-cafre, mère bata-malgache, quatre frères et quatre soeurs, il suit le chemin paternel chez "létablisseman". Beaufonds, terres et fabrique de sucre, y devient journalier, puis ouvrier-ajusteur, "patron cuiseur", jusqu'à la retraite "à 56 ans, 3 mois et des médailles". Le milieu rude des travailleurs de la canne est marqué par la paie du samedi. Celle qui permet d'acheter du rhum et de faire la fête rythmée jusqu'à l'aube par les instruments du cru. C'est dans ces "kabarés" (1), interdit à "la marmaille", qu'après l'adolescence il commence à chanter, inspiré par son oncle, Arsène Madia. Virus de la musique oblige, il va même jusqu'à acheter un accordéon, "de Lyon, pesant 19 kilos". Et avec son ami Tonga Lafa, il rencontre au fil des assemblées une évidente notoriété. C'est que son maloya "foutan", ses compositions, le propulsent bien au delà des frontières de Saint-Benoît (2). Au point que, le 23 décembre 1977, il déclare à la préfecture sa propre troupe, sorte de conservatoire familial, dans laquelle vont évoluer à tour de rôle ses treize enfants (huit en font toujours partie). Et qu'il enregistre quatre titres sur un 45 tours, vinyle qui sera un des premiers du genre avec celui du Saint-Pierrois Firmin Viry.
Pour situer le maloya dans la culture réunionnaise il faut rappeler que l'île, (2512 km2, près de 600.000 habitants aujourd'hui) inhabitée il y a 350 ans est devenue au fil des siècles un cocktail de métissages, une étonnante imbrication de groupes ethniques disparates qui s'interpénètrent culturellement. Aujourd'hui ils sont 180.000 métisses descendants d'Africains, Européens, Indiens, travailleurs agricoles ou petits propriétaires terriens; 120.000 Malabars ou Tamouls ("Malbars" en créole) issus de l'Inde du Sud, ouvriers dans les usines sucrières ou fonctionnaires; 100.000 Blancs nés au pays, repérables en deux groupes, les Gros Blancs ("Gro-Blan") formant les familles possédantes et les Petits Blancs ("Ti-Blan") vivant chichement de l'agriculture ou employés; 40.000 Cafres ("Kaf") descendants des esclaves venus de Madagascar puis de la côte africaine; 15.000 Chinois de Canton ayant le quasi monopole du commerce d'alimentation; 10.000 Indiens musulmans du Gujerat ("Zarab") dominant le commerce du textile et de l'électro-ménager; sans parler des 10.000 Français métropolitains (les fameux "Zorey"). A part les "Zarab" de stricte obédience islamique, la population réunionnaise est catholique. Or, si la plupart des "Malbars" sont pratiquants, ils continuent néanmoins d'observer des rituels tamouls. La religion tamoule, variante de l'hindouisme, persistant sous forme de marches sur le feu, sacrifices d'animaux, abstinences, magies. Les "Cafres" pour leur part observent des rituels d'origine malgache ou africaine appelés services ("sevis malgas" ou "sevis kabars").
Il y a donc une interculture: perte de repères, importants carrefours de filiation et notion du métissage qui se plie à une foule d'interprétations. Il faut aussi se souvenir que la valorisation initiale de l'ex-île Bourbon fut obtenue, du milieu du 17ème siècle jusqu'à l'abolition de la traite en 1830, grâce à la main-d'œuvre esclavagiste. Et ce fait historique, fut-il occulté, est central dans l'inconscient collectif réunionnais.
La société de plantation a engendré une réalité sociale duelle que l'on retrouve dans la musique. Ainsi le séga actuel est-il un hybride de séga primitif et de quadrille des colons blancs du 18ème siècle. D'autres musiques ont accompagné des flux migratoires contemporains, quand le maloya, lui, s'enracinait de façon oedipienne dans la culture des esclaves et des nègres "marrons", ces noirs révoltés qui s'échappaient et se réfugiaient vers les hauteurs volcaniques de l'île (3). Une fracture qui permet d'expliquer la reconnaissance tardive d'un maloya qui fut longtemps cantonné dans des quartiers populaires établis justement sur les aires où se développa la culture de plantation.
Vers 1848, date de l'abolition de l'esclavage, 58.000 esclaves, soit 60% de la population de l'île sont libérés. Mais leur réalité, leur culture sera niée. Aussi bien par les descendants des "nouveaux libres" qui préfèrent évacuer cette part maudite d'histoire dans un souci post-abolitionniste que par les "élites" locales qui jugent obscurantiste toute référence à ce passé douloureux. La départementalisation française de 1946 va conforter le phénomène. Entraînant une vision jacobine de la culture marquée au sceau de l'assimilation dont l'effet sera de marginaliser davantage la culture originelle. Pour preuve, les avatars de la langue créole. Durant longtemps celle-ci est présentée, au pis comme une originalité doudouiste, au mieux comme un patois rural. Et ce n'est que par étapes et sous l'impulsion politique d'intellectuels qu'elle obtiendra statut et droit de cité. L'article fondateur de la revendication linguistique dans la revue d'étudiants créoles, "Le Rideau de Cannes", date de 1961. La première graphie phonologique et le premier poème consciemment kréol de Jean-Claude Legros sont publiés l'année suivante. La parution de 1969 à 1976 du "Lexique illustré de la langue créole" dans le quotidien "Témoignages" à l'instigation de Boris Gamaleya constitue une avancée décisive tout comme les travaux ultérieurs de "Lortograf 77" (graphie phonologique commune), de la revue "Sobatkoz", de Ginette Ramassamy (syntaxe du créole), ou les parutions de dictionnaires Kréol-Français. S'il est important de rappeler ce difficile cheminement de la revendication linguistique - un inspecteur du primaire ne déclarait-il pas encore en 1970 : "il faut fusiller le créole" - c'est que le maloya, danse des Câfres qu'il était, a toujours été par essence au coeur de cette quête identitaire linguistique, mais aussi économique et sociale (4). Point de hasard donc si, de 1956 à 1962, le maloya est prohibé par le gouvernorat de Perreau-Pradier, ce qui lui impose une quasi clandestinité justement chez les coupeurs de canne ou les laissés-pour-compte des "hauts". Si bien que, bien avant que la bataille pour la graphie créole ne prenne corps, "la musique des ancêtres" se révélait être le véhicule privilégié du non-dit anthropologique réunionnais.
L'histoire politique de l'île le vérifiera. Le P.C.R (Parti Communiste Réunionnais) au mitan des années soixante-dix popularise le maloya dans les fêtes de son journal "Témoignages" conformément à sa bataille en faveur de l'autonomie. Les premiers disques de Firmin Viry et de Granmoun Lélé sont d'ailleurs produits à son instigation. Une période durant laquelle les musiciens de maloya sont transportés dans des camions bâchés vers les lieux de concerts comme des personnalités sulfureuses!
Mais la force du maloya dépasse largement les luttes politiques en faveur d'un statut renouvelé de l'île. Comme le dit Julien Philéas: "d'un côté kèr gros, de l'autre kèr joyeux; après il faut mettre sur la balance. Quand nous pense zancêtres comment lété, nou lé kér gros; mais nou kèr lé joyeux quand nou pense zot la gagne la liberté". L'esprit du maloya est bien dans cet entre deux de nostalgie et d'espoir, de blues et de colère, d'humanité volée et de bonheur possible. Ses mots, sa poétique, ses mélodies en mineur, ne renvoient pas seulement au temps des esclaves, ils sont les pièces d'un puzzle identitaire, d'un miroir brisé (5). Ses attributs sont des voix lancinantes que soutiennent des instruments ruraux : le "rouleur" (cheval-tambour de basse que l’on chevauche, né d’un tonneau raccourci fermé d’une peau de chèvre que l'on tend au feu); le "bobre" (arc musical arrimé à une callebasse séchée); le "caïambre", boîte en tiges de fleur de canne contenant des graines que l’on agite à plat, ce mouvement donnant naissance au rythme 6-8, signature rythmique du maloya. Et encore, le "fer-blanc" (boîte de lait cabossée), les "tablas" et le "ravan" indiens, le triangle... Le maloya, enfin, est dans sa configuration originelle d'ordre rituel, ce qui permet de distinguer un maloya pilé (c'est-à-dire accessible à tous, fait pour la danse, festif, véhiculant des thèmes de la vie quotidienne) d'un maloya roulé, lié à des pratiques rituelles d'influence malgache ou tamoules, qui ne se pratique ni en scène ni en spectacles. Ce maloya intime lié aux périodes de carême - lorsque les familles invitent parents et amis à partager préparatifs, prières, offrandes aux Dieux, recueillements - est la trame de fêtes propices à l'échange de légendes, contes, sirandanes (devinettes traditionnelles), durant lesquelles parfois certains "entrent en communication avec l'autre monde" par le phénomène de la transe. Comprendre que ce maloya-là se joue à des jours et des heures précis, selon des codes plutôt secrets.
Granmoun Lélé, par ses origines, fut familiarisé très tôt aux rites malgaches et tamouls. Ainsi, le musicien est-il aussi connu dans l'île comme sculpteur-rénovateur de ces "bondiés" que les pratiquants installent dans leurs petits temples, ou de ces masques dont on se pare lors de bals malbars. Un travail très particulier qui est soumis à des règles strictes : depuis le choix des bois (uniquement du lilas, du margosier ou du camphre), jusqu'à l'abstinence de viande et de relations sexuelles pendant le travail, en passant par un carême de huit à dix jours avant la sculpture.
Granmoun Lélé fait donc du maloya comme on respire. Et c'est dans sa case de Bras-Fusil qu'il a composé l'essentiel de son répertoire, plus de deux cents chansons qui parlent de sa quotidienneté, de ses rêves, s'inspirant pour ses rythmes de son environnement naturel comme l'Océan ("le petit désordre de la mer, pour moi, la forme comme une musique"). Pour ces morceaux, il lui faut "une bonne affaire" (idée), voir "si ça rentre ou pas" et sur une construction implicite chacun des intervenants de la famille mettra "son grain de sel". Son fils Marcel Willy, -distributeur de rythmes qui joua avec Doudou N'Diaye Rose - ayant un rôle décisif dans le dialogue tradition/modernité, tant les oreilles du papa sont ouvertes à la novation, au monde de la jeunesse. Le maloya du clan Lélé est donc comme un zambrokal réussi, ce plat créole à base de riz, viande fumée, grains secs ou verts, épices, dans lequel chaque élément s'imprègne des autres tout en gardant une certaine particularité. On le sent dans ce disque qui après l'album "Namouniman" déjà plein de saveurs met la barre encore plus haut. C'est que depuis le début des années quatre-vingt, le maloya sous différentes acceptions (pur, matiné d'influences séga, jazz, reggae, rock... via les Rwa Kaff, Granmoun Baba, Firmin Viry, Danyel Waro, Ti Fock, Zizkakan, Baster) a connu un large écho à la Réunion comme à l'extérieur. L'île s'est posée la question d'une musique qui pouvait prétendre à l'universalité pour autant qu'elle était à même de se renouveler sans se renier. Granmoun Lélé, arrivé tardivement dans l'arène internationale, aurait pu s'en tenir au statut d'ancien, mais c'est lui qui s'est révélé un des meilleurs dynamisateurs du patrimoine. En entendant ses arrangements vocaux, les colorisations inédites qu'il apporte au travail percussif de son big band par l'adjonction de nouveaux instruments (djembé, apungalachi, sati, cloches... ), on touche une plénitude sonore. Le saut qualitatif du travail du clan Lélé -thèmes, syntaxe, pulsions rythmiques-, devant à l'évidence fournir des pistes de travail à bien des musiciens, jazzmen en particulier.

Frank TENAILLE

Notes :
(1) Du mot malgache kabary: assemblée, qui a donné le néologisme kabar: concert convivial, sorte de fetz noz réunionnais.
(2) Le terme maloya serait, assurent certains, d'origine malgache ("maloy aho"). Le vocable maloy voulant dire parler, dégoiser, dire ce que l'on a à dire. Le séga primitif avait beaucoup à voir avec le maloya avant que les affranchis de 1948 ne le combinent à la musique européenne. Le nom "tchega" se rapporte d'ailleurs au Mozambique à une danse très proche du fandango espagnol. Le swahili "sega" désigne l'acte de retrousser ses habits, geste typique des danseuses que l'on retrouve à l'île Maurice dans le sega ravane, à Rodrigues avec le sega tambour, aux Seychelles avec le moutia.
(3) Ultérieurement, le maloya fut adopté par la majorité des pauvres déracinés (malgaches, africains, engagés Indiens et à un degré moindre petits blancs pauvres). De même, il est patent de constater que les Malbars ont joué un rôle prépondérant dans la conservation du maloya. Les engagés indiens du XIXème siècle, l'adoptant alors que ceux qui en étaient les dépositaires, par désir d'intégration sociale, se départissaient d'une expression jugée liée à l'époque de l'esclavage.
(4) Symptomatique de cette situation, les travaux d'un groupe interdisciplinaire (sociologue, médecin, linguiste, anthropologue, etc) qui en 1989 publia un texte, "Le cache-cache d'une culture minorée et les lambeaux de l'identité perdue", qui mettait l'accent sur "un dysfonctionnement symbolique touchant les pratiques culturelles à la Réunion" allié à un questionnement identitaire non résolu.
(5) La poésie du maloya fut longtemps incomprise et jugée infantile, "décousue", par les tenants cartésianistes du francotropisme. Les poètes contemporains de l'île, Jean Albany, Boris Gamaleya, Axel Gauvin notamment ont depuis fait un sort à ces points de vue. L'univers poétique très "Facteur Cheval" de Granmoun Lélé possède à ce titre toutes les caractéristiques classiques du verbe maloya, avec ses métaphores, ses allusions, ses fantasmagories, son humour, ses emprunts linguistiques (au malgache, au swahili, à des vocables imaginaires) au point que même la famille ne comprend pas tous les mots de Lélé, parfois non transcriptibles en créole usuel.

source: http://www.label-bleu.com/artist.php?artist_id=1


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mercredi 8 juin 2011

L'antidote à l'apathie (par Dave Meslin)


Translated into French by Elisabeth Buffard


La politique locale - les écoles, le zonage, des élections - nous touchent là où nous vivons. Alors pourquoi n'y a-t-il pas plus d'entre nous qui s'impliquent vraiment? Est-ce de l'apathie? Dave Meslin dit que non. Il identifie 7 obstacles qui nous empêchent de prendre part à nos communautés, même si nous sommes vraiment concernés.

Dave Meslin is a "professional rabble-rouser." Based in Toronto, he works to make local issues engaging and even fun to get involved in.
Multi-partisan and fiercely optimistic, Dave Meslin embraces ideas and projects that cut across traditional boundaries between grassroots politics, electoral politics and the arts community. In his work, in Toronto and globally, he attempts to weave elements of these communities together. (His business card reads "Dave Meslin: community choreographer," which feels about right.)

Some of his projects include 2006's City Idol contest, which put a sexy new face on council elections; co-editing Local Motion, a book about civic projects in Toronto; and Dandyhorse and Spacing magazines. And he's part of the Toronto folk/indie collective Hidden Cameras, using their worldwide touring to research voting practices in the cities where they play. He recently founded the Ranked Ballot Initiative of Toronto (RaBIT).

source: http://www.ted.com/talks/lang/fre_fr/dave_meslin_the_antidote_to_apathy.html
(TED-Ideas Worth Spreading. Many thanks to Nathalie Legaye)

mardi 7 juin 2011

lundi 6 juin 2011

Nina Simone






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Eunice Kathleen Waymon et de nom de scène Nina Simone, née le 21 février 1933 à Tryon (États-Unis) et décédée le 21 avril 2003 à Carry-le-Rouet (France), est une pianiste américaine, chanteuse, compositrice et militante pour les droits civiques et principalement associée à la musique jazz. Désirant à l'origine devenir une pianiste classique Simone a finalement joué dans des styles musicaux variés notamment le jazz, le blues, le classique, la soul, le folk, le R&B, le gospel et la pop.

Née dans une famille religieuse, la jeune Nina est très attirée par la musique mais les réalités de la pauvreté et les préjugés raciaux ont raison de ses ambitions. Son parcours musical change de direction lorsqu'elle s'est vu refuser une bourse d'étude à l'Institut Curtis. Alors qu'elle joue et chante dans un petit club de Philadelphie elle est contactée par le label Bethlehem Records pour un enregistrement et le morceau I Love you Porgy devient un grand succès en Amérique en 1958. Simone enregistre au cours de sa carrière plus de 40 albums, de ses débuts avec l'album Little Blue Girl en 1958 jusqu'en 1974 environ.

Son style original est issu de la fusion de chansons gospel et pop avec la musique classique. Après vingt ans de scène, elle s'engage dans le mouvement de défense des droits civiques et sa vie change de direction une fois de plus. La musique de Simone est très influente dans la lutte pour l'égalité des droits que mènent les Noirs à cette période aux États-Unis. Sa musique puissante est une source d'inspiration pour cette génération et continue de l'être pour celles qui suivent...

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Le Maghreb se soulève contre les dictateurs par Zehira Houfani Berfas

7 janvier 2011

Après la Tunisie, l’Algérie entre dans la révolte populaire

Ce début de l’année 2011 sera marqué par le mouvement de révoltes populaires qui secouent présentement le Maghreb. Des révoltes de la faim, disent certains, mais sûrement pour la justice et la fin des dictatures et autres régimes maffieux, qui gouvernent ces pays par la force et la répression. Alors qu’en Tunisie les émeutes se poursuivent depuis plusieurs semaines, en Algérie, depuis mercredi, les quartiers populaires de la capitale et des grandes villes d’Algérie s’embrasent dans l’explosion de la colère des jeunes, nourrie par un quotidien des plus absurdes dans un pays, qui croule sous les pétrodollars, détournés ouvertement par les despotes au pouvoir depuis des décennies.

La jeunesse algérienne est estimée à plus de 70 % de la population, mais rien dans les politiques officielles n’offre d’ouverture, ni de prise en charge sérieuse de ces millions de jeunes livrés à eux-mêmes sans le moindre espoir à l’horizon. Ils sont acculés à un chômage endémique, à la toxicomanie et la prostitution, à la hogra (injustice en tous genres) et au harraguisme, souvent suicidaire, de même qu’à l’indigence, ce vide culturel et politique sidéral dans un pays déserté par le bon sens et le sel de la vie, parce qu’étouffé sous les lois de l’état d’urgence, bousillé par la corruption des gouvernants et soumis à l’ignorance et à son avatar le plus fidèle : l’intolérance.

En sortant dans les rues pour manifester violemment contre leurs oppresseurs, les jeunes Maghrébins prennent ainsi le monde en témoin de leur désespoir, mais marquent également leur ressentiment envers leurs élites et autres leaders de l’opposition. Cela est d’autant plus vrai en Algérie où les jeunes se sentent livrés à leur sort et abandonnés par les générations précédentes, celle de la Révolution qui a fait la gloire du pays, et celle de l’indépendance, qui n’a jamais su assumer le rôle qui est le sien, à savoir réaliser l’État de droit, objectif ultime de la Révolution algérienne.

Depuis la violation de la constitution par le président Bouteflika pour se payer un 3e mandat, alors que le bilan des 2 précédents était plus que déplorable, autant pour le pays livré aux inconditionnels de l’affairisme local et international souvent sans scrupules, que pour le peuple soumis à des conditions de vie épouvantables, se débattant comme un diable pour assurer sa survie, tout en se faisant agressé par le luxe indécent qu’affichent ouvertement les tenants du pouvoir. Cela fait des années que la situation allait en s’aggravant, mais force est de constater qu’en continuant d’humilier et de mépriser le peuple, de réprimer la liberté d’expression, d’interdire l’ouverture du champ politique et médiatique, d’assurer l’impunité aux grands voleurs et corrompus connus de l’opinion et épinglés pour de multiples forfaitures et trahisons, le régime de Bouteflika est d’ores et déjà responsable de toute tragédie menaçant l’Algérie.

Le président a failli à toutes ses promesses électorales, menti aux Algériens, pire, il a innové dans la mauvaise gouvernance en s’entourant de 13 ou 14 ministres de son propre village, remettant au goût du jour le pouvoir clanique au lieu de moraliser un tant soi peu les mœurs politiques en initiant et balisant une bonne gouvernance, prélude à l’état de droit qu’il avait promis. Le seul deal auquel semble tenir le président, en plus de la mégalomanie et la vanité qui caractérisent les dirigeants arabes, deal qu’il a bien exécuté depuis son arrivée au pouvoir, c’est de pomper plus de pétrole pour que le pécule à partager entre son clan et les militaires soit toujours plus imposant et garant d’une clientèle totalement acquise à sa présidence. Une clientèle qui a choisi de vivre loin de la misère ambiante, dans les forteresses cossues, des citadelles inaccessibles avec des étendues verdoyantes et des plages publiques privatisées par « décret », pour les soustraire au patrimoine public. Avec l’argent du peuple, ils ont édifié des petits paradis et devenus les plus chanceux des milliardaires, puisque contrairement aux occidentaux qui ont souvent trimé pour édifier leurs fortunes, les dictateurs, dont les dirigeants algériens, n’ont qu’à puiser dans le trésor public de leur pays pour assouvir le moindre de leurs désirs. Une situation que le peuple algérien ne veut plus subir. Il revendique la dignité humaine que le pouvoir totalitaire lui a confisquée en le privant du minimum décent pour vivre, à savoir une distribution équitable des ressources nationales, le droit à un travail correctement rémunéré, à un logement pour fonder une famille, et bien sûr cette liberté de penser et d’évoluer sereinement. Autant de revendications qui ne s’accommodent pas avec une dictature, mais exigent plutôt l’instauration d’un État de droit.

Est-ce le début de la fin des dictatures au Maghreb ? La balle est dans le camp des élites et politiciens intègres de ces pays qui doivent, no seulement endosser les revendications de leurs peuples, mais aussi les faire entendre autant sur les tribunes locales que sur la scène internationale. Une façon de mettre devant leurs responsabilités, les grandes puissances qui soutiennent les dictatures au mépris de tant de peuples sur la planète. Désormais, le déni des droits humains ne peut plus durer, ni au Maghreb, ni en Afrique, ni en Amérique latine. Les gouvernants se sont concertés pour promouvoir, voire imposer la mondialisation des marchés, aujourd’hui, en 2011, les peuples se lancent dans la mondialisation de la démocratie.


source: http://www.legrandsoir.info/Le-Maghreb-se-souleve-contre-les-dictateurs.html



dimanche 5 juin 2011

Les indignés de Bruxelles par Badi BALTAZAR

Visite du campement bruxellois des Indignés - Procès-verbal d’intérêt général

Hier, j’ai décidé de faire un arrêt du côté du carré de Moscou à Saint-Gilles dans l’idée de rencontrer des membres de ce mouvement dit des Indignés. Comme la plupart d’entre vous j’imagine, je me suis posé pas mal de questions sur cet étrange phénomène. Qui sont ces gens ? Pourquoi se sont-ils délibérément installés sur une place au beau milieu de la capitale de l’Europe ? Que veulent-ils ? Quelles sont leurs intentions ? Quels sont les intérêts qu’ils défendent ? Est-ce un groupe, une organisation de militants ? Quelles sont leurs revendications ?


Arrivé sur les lieux, j’ai d’abord constaté que l’endroit avait des airs de festival d’été, avec ses chapiteaux et ses stands. Mais au fur et à mesure que je me rapprochais du coeur de la place, je ressentais le genre d’impression de découverte et d’étonnement que l’on peut avoir lorsque l’on pose le premier pas dans un univers nouveau. La place était littéralement occupée, mais pas seulement. Une société parallèle semblait s’y être formé au sein même de la cité. Des tentes, des tables, des chaises, des fauteuils, des matelas, des échoppes, un potager. Une cuisine au centre, avec une pancarte indiquant que le prix de la nourriture est celui que décidera de lui accorder l’acheteur. Des activités ludiques, des ateliers divers, des jeunes femmes sur des échasses, une bibliothèque à ciel ouvert, des groupes de citoyens formés un peu partout sur la place, qui échangent activement, dans une ambiance cordiale, décontractée mais sérieuse. Des notes se prennent, des coordonnées s’échangent, des solutions s’inventent. C’est le royaume de la débrouille, une espèce de laboratoire où les chercheurs ne sont autres que les citoyens qui s’y retrouvent, se rencontrent, s’écoutent et se parlent. Inutile de préciser que j’ai vite compris qu’il y planait autre chose qu’une simple brise de printemps.

Sous le plus grand des chapiteaux se tenait une assemblée composée d’une cinquantaine de personnes de tout âge, de toutes origines, des chômeurs, des enfants avec leurs parents, des étudiants, des employés, des ouvriers, des fonctionnaires, des retraités, des gens du voisinage. Du bobo à l’altermondialiste, tous semblaient être intéressés par ce qui se déroulait. Symboliquement, ils se passaient la parole en faisant circuler un bout de bois, en guise de micro. Au choix, chacun avait l’opportunité de s’exprimer, de faire part des raisons de ses indignations et de ses réflexions. Des valves avaient été installées et le procès-verbal de la précédente Assemblée Générale y avait été affiché. La tendance m’a semblé être à la création de structures spécifiques aux divers domaines qu’ils souhaitent couvrir. Ces dernières se matérialisent sous la forme de commissions. A ce jour, ont commencés à être formés des cellules de communication, un site web ainsi qu’une logistique opérationnelle et sanitaire appréciable. Par ailleurs, les décisions prises par les activistes sont actées et les potentiels de coordinations nationales et internationales sont envisagés et commentés.

J’en profite donc pour rassurer la bourgmestre de la commune, qui d’après certaines sources serait inquiète quant aux conséquences d’un tel rassemblement et je tiens à lui adresser les salutations les plus pacifiques que les débats auxquels j’ai assisté m’obligent à relayer. Une multitude de messages et de banderoles ont d’ailleurs été accrochés partout sur la place. Ils invitent à l’éveil des consciences et à la mobilisation citoyenne. A noter que plusieurs d’entre elles sont en espagnol ou en anglais.

J’avoue que plongé dans ce microcosme bouillant d’énergie positive, j’étais quelque peu intrigué. Faut dire que ce genre d’espace de partage spontané n’est pas courant. Personnellement, je n’ai jamais vu ça de ma vie en Belgique. Ces gens - venus de partout, partout en Europe et ailleurs dans le monde - qui délibérément se réunissent sur des places, les occupent jour et nuit et y réorganisent une vie sociale, embryonnaire certes mais effective. C’est absolument remarquable. Ce que je veux exprimer c’est que le fait même que ces gens agissent de la sorte - s’inscrivant dans une démarche constamment en mouvement vu que telle est sa raison d’être - est une révolution en soi. Ce sont avant tous les mentalités et les modes de vie en société qui sont ici repensés.

J’insiste cependant sur le fait qu’il faut raison garder et éviter de se laisser happer par je ne sais quelle tentation passionnée. Selon moi, dans l’état actuel, le mouvement naissant dont je témoigne n’est qu’un vecteur de prise de conscience pour les citoyens qui s’y identifient et y contribuent. Néanmoins, leurs intentions et leurs actions n’en sont pas moins profondes et sincères. Ce que ces gens ressentent, l’énergie qu’ils investissent, leurs idées, leur créativité et leurs rêves d’équité sont tout sauf anodins et peu en parle, voire pas du tout. Les quelques journalistes qui ont daigné faire référence à ces mouvements jaillissants sous la bannière d’une démocratie réelle un peu partout dans le monde, oublient ou taisent l’essentiel. Au-delà de la finalité, du potentiel d’expansion et de réalisation de ces mouvements, le fait que ces gens en arrivent à descendre dans les rues et les places et à les occuper pour pouvoir exister et avoir la possibilité de s’exprimer et de se faire entendre, est une illustration grandeur nature du constat d’échec permanent de nos sociétés actuelles. Et vouloir présenter cette réalité comme une simple grogne de chômeurs ou de jeunes en situation de précarité est d’autant plus réducteur et intellectuellement malhonnête.

D’un point de vue factuel, les systèmes économiques, politiques et institutionnels ne répondent plus aux attentes des populations et ont, je le répète, prouvé leurs incompétences. La confiance dans la classe politique en place est à son plus bas niveau et ce qui rend ce phénomène citoyen d’autant plus important selon moi, c’est paradoxalement sa mondialisation. Ces citoyens qui se mobilisent sont tout sauf des illuminés. Ils ont toute leur raison et leurs raisons et ils tendent à porter la voix de Monsieur Tout Le Monde. Et ce qui me touche profondément, c’est l’idée qu’ils le fassent vraiment dans l’intérêt de Monsieur Tout Le Monde. D’après les discussions que j’ai pu avoir avec certains activistes, l’unique prétention qui les anime à ce stade est de créer et de développer cet espace de dialogue, d’expression et de débat. Toutes les pensées, toutes les tendances de la population sont amenées à y être représentées. En un mot, c’est un mouvement qui s’ouvre à tous et qui constitue une possibilité pour tout un chacun de prendre part aux activités ou de prendre l’initiative d’en élaborer. C’est une plate-forme de libre choix et de libre pensée, ce que les institutions aux commandes sont manifestement incapables de proposer.

Vous serez sans doute tous d’accord avec ce constat : tous les indicateurs sont au rouge. Signal que nous sommes arrivés à une étape charnière dans l’évolution du déséquilibre mondial. Les fossés dont nous avons criblé notre espace de vie sont devenus tellement grands que l’émergence de mouvements citoyens deviendra de plus en plus difficile à contenir. Je pense donc que comme toute manipulation, l’aliénation et l’injustice démontreront leurs limites elles aussi, ce qui m’oblige à saluer tous les hommes et toutes les femmes qui ont décidé que leur destin était entre leurs mains, que le monde peut être autre chose qu’un espace de concurrences féroces et immorales et qu’en face des politiques et de la finance privée il y des êtres humains qui ont en commun les mêmes volontés de pacification de la planète. Nul doute que les efforts soient à fournir sur les plans du fond et du long terme, mais le défi en vaut la chandelle. Je souhaite de ce fait aux indignés d’ici et d’ailleurs d’avoir la force de garder l’espoir que je partage avec eux de reconquérir notre souveraineté populaire. Gardons à l’esprit que chacun de nous est une énergie potentielle et chaque particule d’énergie positive, d’intelligence, d’expertise et de force de travail que nous pourrons canaliser seront bénéfiques.

Je tiens également à souligner que bien que la naissance du mouvement des Indignés bruxellois soit survenue dans la foulée de ses voisines européennes, sa particularité me semble être à l’image de ces citoyens : positifs, bon vivants et à des années lumières de tous les clichés de violence ou de désordre que certains oiseaux de mauvais augures colportent. Le besoin qu’ils ont de tout remettre à plat et de vouloir refondre les bases d’une nouvelle vie en société devrait, il me semble, être encouragé, soutenu et renforcé. Contrairement à ce qui se lit dans la presse ou sur les prompteurs, leur démarche n’est pas apolitique, au contraire elle est pleinement politique : se réunir, débattre, échanger, se mobiliser et agir pour le bien de la cité et de ses habitants, n’est-ce pas l’essence même de l’acte politique ?

Ce soir, je suis retourné au campement pour assister à l’Assemblée Générale qui s’y tient quotidiennement. Je fus à la fois surpris et excité de m’apercevoir que le nombre des participants avait quasiment triplé depuis la veille. D’ailleurs, pour répondre au succès des débats, le petit bout de bois qui servait de micro avait entre-temps été troqué contre un mégaphone. Je tiens à témoigner que j’y ai rencontré des gens exceptionnels, des citoyens conscients et pleinement en accord avec eux-mêmes. L’émotion que j’y ai ressentie et la sincérité de leurs actions auront, quoi qu’il arrive, marquer mon esprit. Assister à une telle manifestation d’humanité et de partage est tout simplement bon pour le moral. Il est rassurant et réconfortant de se dire qu’il existe encore des êtres humains si fortement attachés à leurs idéaux de liberté et de solidarité.

Néanmoins, il faut aussi reconnaître que la survie de cet élan de citoyenneté dépendra de sa capacité à occuper l’espace, à mobiliser les masses et à démultiplier les initiatives intelligentes. Par le biais de ce libre buvard, je ne peux que vous inviter à vous joindre à cette merveilleuse aventure humaine, qui je l’espère, n’en est qu’à ses balbutiements. L’idée débattue ce soir de former un campement itinérant de commune en commune semble suivre son petit bonhomme de chemin. Et de nombreuses activités sont prévues sur la place du carré de Moscou tout au long du week-end, n’hésitez donc pas à y faire un saut pour vous faire votre propre idée de ce qu’est cette communion de citoyens dont le rêve à partager est de contribuer à la construction d’un monde dans lequel les gouvernements représenteraient et défendraient réellement les intérêts des électeurs, d’un monde moderne où l’humain pourrait enfin être au centre des préoccupations.

A bon entendeur,

Badi BALTAZAR
www.lebuvardbavard.com

source: http://www.legrandsoir.info/les-indignes-de-bruxelles-qui-sont-ils.html

Blog des indignés: http://www.indignes.be/
Le camp en photos: http://alia.eklablog.fr/les-questions-citoyennes-c634509#!/2011-06-03-yes-we-camp-en-photos-a3887590

http://lafourmirouge.blogspot.com/2011/06/bruxelles-indignee-en-directe-du.html



Les "indignés" de Bruxelles par BELGA_NEWS_AGENCY

mardi 31 mai 2011

Claude CAHUN

Claude Cahun, l’artiste visionnaire, la personnalité dérangeante, la résistante condamnée à mort, celle qui n’a jamais voulu se contenter d’être une muse du surréalisme a longtemps été occultée, tronquée, trahie. Elle est exposée à Paris, au musée du Jeu de Paume, du 24 mai au 25 septembre 2011.

cahun claude

Naître en 1894 et façonner son destin de femme, juive, lesbienne, artiste et activiste révolutionnaire dans le contexte de deux guerres mondiales et de l’explosion surréaliste est déjà peu courant. Mais s’avérer aujourd'hui la plus actuelle, voire futuriste, de toute la scène d’alors est nettement plus époustouflant. Ses collègues sont représentatifs d’une époque. Elle seule les transcende. Cette audace, cette originalité, cette détermination ont un prix. Beaucoup s’ingénièrent à l’enterrer vivante. A nous aujourd’hui de la chercher. La tache promet d’être des plus exaltantes.

cahun claude


La quatrième de couverture de la biographie de François Leperlier, publiée en 1992, s’ouvre sur cette succulente déclaration : “J’ai la manie de l’exception” et précise que l’on va parler d’une personnalité “excentrique” (loin du centre) qui s’est toujours refusée à “l’autorité des évidences”. L’Interdit s’incline. L’introduction de l’essai de Laura Cottingham, Cherchez Claude Cahun, publié en 2002, dépeint en outre sa modernité : “Proust est mort en 1922 et avec lui le dix-neuvième siècle. Claude, pour sa part, anticipa non seulement le vingtième siècle mais également le vingt-et-unième. Et il ne s’agit pas seulement d’une question d’apparences, bien que les apparences soient si importantes. Le crâne rasé de Claude, ses vêtements amples et élégants, son style si chic, son appareil photo, ces éléments qui la caractérisaient si bien sont encore et toujours des accessoires nécessaires et des activités artistiques actuelles. Alors que ce pauvre Proust chercherait, probablement en vain, du Dom Perignon et de l’absinthe s’il débarquait dans l’East village en 2002, Claude, tout comme nous, aurait son tapis de yoga et connaîtrait déjà le premier cycle de la série Astanga”.

Choisir un pseudonyme unisexe

Claude Cahun est née Lucy Schwob le 25 octobre 1894. Elle ne perd pas son nom en l’aliénant par un mariage mais en choisissant un pseudonyme unisexe. Elle partagera sa vie entière (privée, artistique et politique) avec Suzanne Malherbe dite “Moore”, la fille de sa belle-mère, avec qui elle a été élevée et qu’elle ne quittera jamais. Les amantes travailleront ensemble dans les écrits, photographies, autoportraits, photo-montages et lutteront au quotidien. On peut d’ailleurs supposer qu’attribuer à la seule Claude Cahun son œuvre géniale est un peu injuste : cette œuvre tient certainement à une étroite collaboration entre les deux femmes : “En mettant Claude Cahun comme unique créatrice de ces photos, en gommant le rapport d’adresse à Suzanne Malherbe et même sa part de créatrice, l’exposition [qui avait alors lieu à Paris au musée d'Art moderne] nie la possibilité que la création soit aussi l’œuvre du couple, sans doute parce que la complicité du couple homosexuel échappe ici à une norme établie. Or comment ignorer cette probabilité quand on sait que dès l’adolescence elles ne se sont jamais quittées, qu’elles ont eu une éducation quasi semblable dans des familles de même milieu et qu’elles ont participé aux mêmes aventures : théâtre, revues (l’une par l’écrit, l’autre par le graphisme), mouvement surréaliste, Résistance… Evidemment, cela va à l’encontre du créateur un et unique mais nous connaissons à notre époque de nombreux couples homosexuels créateurs qui se revendiquent comme tels” (Catherine Gonnard in Lesbia magazine n° 141, septembre 1995).

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Quoi qu’il en soit, il s’agit de s’affranchir des images imposées, invivables, à commencer par le clivage féminin/masculin. Ainsi tout au long de son livre Aveux non avenus (1930), Claude Cahun veille à l’alternance des deux genres grammaticaux. De même, ses fulgurants autoportraits ne peuvent la rapprocher de rien de connu. Elle y joue de son aspect ou le truque, cheveux courts ou pas de cheveux, profil accentué, crâne allongé, dédoublements à l’infini, masques, rôles féminins ou masculins joués et triturés. On peine à savoir précisément ce que l’on est en train de regarder, on a beaucoup de mal à croire que ces œuvres datent de 1920, on reste en émerveillement devant l’audacieuse fierté du regard défiant l’objectif.

Apprécier l’indéfini

La biographie de Leperlier et l’enquête de Cottingham interprètent différemment la personnalité sexuelle de Claude Cahun. Pour le premier, “n’ayant aucune complaisance pour tout ce qu’on attache habituellement au sexe féminin, ironisant sur le féminisme, bien convaincue que l’acte poétique intéresse des individus avant d’engager des genres toujours hypothétiques à ses yeux, elle est mieux placée que quiconque pour vérifier que les thèmes masculins et féminins sont en conversion permanente dans l’écriture et que l’imagination n’a pas de sexe, ou bien elle les a tous”. Leperlier déclare joliment que pour lui Cahun n’est pas “fixée” sur son identité sexuelle et que là comme ailleurs elle “appréciait l’indéfini”.

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Cottingham, elle, craint que par là on occulte que Cahun soit femme et lesbienne. A son sens, Cahun s’est revendiquée femme, refusant seulement d’être féminisée, ce qui n’est pas la même chose : “Tout en refusant d’être “féminisée” (et par conséquent d’admettre que le corps des femmes soit à la disposition sexuelle des hommes), Cahun revendiquait consciemment sa position politique de femme dans ses œuvres (…) Ces assignations contemporaines parmi d’autres au sujet d’une Cahun masculine ou travestie reposent sur des idées extrêmement conservatrices sur l’apparence des femmes et leur production artistique, car il n’y a rien de manifestement “mâle” dans les œuvres de Cahun. Il faudrait plutôt dire que les autoportraits de Cahun présentent souvent l’image d’une femme qui rejette les codes visuels conventionnels de la conduite des femmes : ses cheveux ne sont pas longs, son visage ne se cache pas sous un maquillage, son corps n’est pas fardé de bijoux et elle ne porte pas de robe. Le choix de se représenter non féminisée (…) était orchestré en opposition aux codes établis de l’apparence des femmes et non en fonction d’une quelconque tentative délibérée de se faire passer pour un homme ou une travestie”.

Echapper à l’histoire et à la culture

Personnellement, je me contenterai de rappeler que ne pas s’affirmer femme ne signifie en rien se vouloir homme. Ce qui est sûr c’est que, quelles que soient les nuances à ce sujet, on aura compris que la position de Cahun dérangeait à l’époque et dérange encore. Quant à son lesbianisme, il est régulièrement gommé, comme c’est la tradition. Et là il est beaucoup plus facile de trancher en faveur de Cottingham quand elle dénonce Leperlier qui “a tellement envie d’hétérosexualiser Cahun qu’il prétend que 'Claude Cahun a aimé Breton, d’un amour manifestement impossible comme tous ses amours, mais plus impossible, plus secret, plus désespérément fou que tous ses amours réels ou fictifs'”. La phrase “impossible comme tous ses amours” appliquée à quelqu’un qui partagea sa vie et son œuvre avec une autre est tout simplement scandaleuse. Et me revient forcément en mémoire ma propre indignation à la lecture des biographies de Marguerite Yourcenar : à elle aussi on prêtait volontiers des amours masculines montées en épingle.

Dans un cas comme dans l’autre, je me moque bien sûr complètement de la vérité ou non de ces amours, je suis seulement outrée du fait qu’elles viennent en paravent, masquant et dénigrant de grandioses histoires d’amours féminines (Yourcenar ayant aussi passé l’essentiel de son existence avec la même femme, ce qui semble compter beaucoup moins que de supposées attirances de passage pour un homme ou deux). Il est clair que l’on travaille à faire rentrer dans le rang deux personnalités qui n’ont eu de cesse d’en sortir. Cottingham évoque avec justesse ce fameux regard de Claude évoqué plus haut, si direct, qui “suggère le défi et la maîtrise de soi plutôt que la vulnérabilité et la modération” et constate qu’elle “n’avait de cesse d’imaginer et de photographier la manière dont le commun des mortels pouvait échapper à l’histoire et à la culture”. En ce qui la concerne, son lesbianisme participa pour une grande part à cette “échappée”. La ramener, comme Yourcenar, dans le domaine familier de l’hétérosexualité est une façon de minimiser sa subversion permanente. Une façon de dire “au fond d’elles-mêmes, quoi qu’elles disent et font, elles rêvent de maris et d’enfants”.

Une autre façon de minimiser cette subversion consiste bien sûr à la passer le plus possible sous silence. Il faudra attendre 1937 pour qu’une partie de l’œuvre de Cahun soit exposée au public. 1992 (près d’un siècle après sa naissance) pour consulter une biographie sur elle. 2002 pour découvrir la traduction française de l’essai de Laura Cottingham. L’Encyclopédie du surréalisme et le Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs ne la mentionnent pas. C’est que si le surréalisme était “révolutionnaire”, ce n’était pas à l’égard des femmes, confinées comme toujours au rôle de “muse-modèle-maîtresse”. Un rôle que Claude Cahun n’a pas tenu. Elle a participé aux débats politiques, s’est elle-même photographiée à son idée plutôt que de poser nue, bref s’est investie dans la désobéissance, y compris au sein d’un mouvement qui passait pour être lui-même non conformiste.

C’est pourquoi je ne me suis pas étendue ici sur les données biographiques classiques. Oui, elle fréquenta les étoiles du surréalisme, oui elle traduisit Oscar Wilde, ami de son oncle, etc. Il m’a semblé que ces grandes figures avaient fait assez couler d’encre, et j’ai préféré me consacrer cette fois à elle, rien qu’à elle, qui en fit couler si peu et en méritait tant.

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Source: http://interdits.net/interdits/index.php/Claude-Cahun-la-manie-de-l-exception.html
[Une première version de ce texte est parue dans L'Interdit en 2002].

>> please take a look at: http://dolorosa-reveries.blogspot.com/search/label/Claude%20Cahun

lundi 30 mai 2011

Ce n'est pas tout de le dire...

« Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des banquiers et des politiques », dit la pancarte principale de la #spanishrevolution. Certes, mais ce n’est pas tout de le dire ! Ce n’est pas tout de prôner la non-violence absolue en se réclamant de Gandhi et en oubliant que ce dernier avait pris les coloniaux Britanniques par la bourse en demandant à son peuple de boycotter le sel et, même de manière violente et tragique en certains moments. Ni la révolution espagnole ni les arabes et musulmanes (que l’on voit d’ores et déjà, comme prévu, récupérées ou édulcorées) ne parviendront à leur fin sans toucher la bête (ici appelée banquiers et politiciens) à l’endroit où cela lui fait le plus mal : l’indépendance !

Au risque de me répéter, on ne se façonne pas une révolution pacifique si celle-ci n’est pas supportée par l’immense majorité du peuple et donc, si les revendications ne sont pas susceptibles d’être acceptées comme propres par cette immense majorité. Tant que les « acampados » ne s’allieront pas, d’une manière ou d’une autre, les travailleurs, les petits indépendants et les paysans les plus pauvres autour d’un programme minimal mais crédible et porteur, le mouvement est condamné à disparaître plus ou moins rapidement. Or, qu’est-ce qui fait mal aux politiciens et aux banquiers ? C’est que les premiers n’ont plus aucun pouvoir sur les seconds et que les seconds ont besoin du bras armé des premiers pour continuer leur accumulation. S’attaquer au dieu Marché et à ses contradictions réelles et concrètes ! Bien sûr, l’Espagne n’est pas l’Islande, mais justement, et là-bas, c’est ce qu’ils ont fait : refuser de rembourser la dette, ne plus répondre aux banquiers, etc.

C’est à démonter cet engrenage que les assemblées et le mouvement tout entier doit s’atteler ; à en faire un mot d’ordre général qui fasse prendre la mèche, réellement, objectivement, dans l’ensemble du pays et, en dehors, dans l’ensemble de l’Europe en crise. Je ne sais ce qui va sortir des assemblées qui ont lieu en ce moment même –je sais que l’épisode enthousiasmant de la Bastille, a été stoppé net, par une charge musclée de CRS sans état d’âme- mais, j’espère que les résultats n’en resteront pas à de vagues déclarations sur la méthode et la forme plus que sur le fond de revendications qui, quoi qu’on y fasse, sont des revendications politiques. S’attaquer aux politiciens véreux, critiquer la démocratie formelle et combattre les privilèges, ne peut, en aucune façon, vouloir dire renier la politique, se battre pour plus de démocratie et mettre en place des manières, une manière, de vie en commun qui soit autre, certes, mais ailleurs que dans les places occupées : dans les usines, les villages, les régions, le pays tout entier, les facultés, etc.

Loin de moi l’idée de vouloir faire plaisir à tout le monde –que du contraire. Il me semble qu’un des pièges de mes amis de Sol et d’ailleurs (qui savent très bien ce que je suis en train d’écrire puisque le mouvment s’appelle Démocratie REELLE, tout de suite) réside, précisément, dans un vouloir contenter tout le monde qui, en bout de course, ne contentera personne si ce n’est le pouvoir en place qui verra comment l’illusion s’effrite et le danger, par eux ressenti, s’éloigne ou disparaît. Me propos pourraient sembler contradictoires : d’un côté chercher à rassembler l’immense majorité autour d’un ou deux thèmes d’un programme capable de rassembler le plus grand nombre et, de l’autre, l’appel à ne pas chercher à contenter tout le monde. La contradiction disparaît, dès lors que l’on touche à la politisation obligée du mouvement –il ne peut en aucun cas en rester à l’état de mouvement spontanné. Politiser la lutte, faire pression, s’organiser et organiser des contre-pouvoirs réels, des actions d’envergure qui visent le centre nerveux de ce qu’il faut bien nommer par son nom : le système capitaliste, pour qu’il flanche et qu’à terme il menace de « révolutionner ». La lutte sera longue, on le savait ; il ne faut pas qu’elle s’arrête avant d’avoir été menée, avant d’avoir été au-delà des prémisses de l’espoir et du courage intelligent qui rassemble au départ du concret. Il faut tenir dans la distance et les politiques le savent qui, tous, de la gauche institutionnalisée aux écolos bon teint, en passant par les idéologues sectaires, les sociaux-démocrates et les libéraux, se tiennent en retrait. Je n’ai lu ni entendu aucun appui convaincu et fort, aucun geste fort qui appuie les revendications ni le mouvement de la part de cette clique ! Aucun renoncement à la pension à vie en tant que parlementaire, aucune proposition de projet de loi contre les privilèges basiques repris dans le manifeste de la plate-forme : rien !

Certains se méfient du spontanné, d’autres pensent à leur propre jeunesse soixante-huitarde et replongent dans des dilemmes d’avant la chute du mur, d’autres, enfin, craignent pour leur carrière, leurs privilèges, leur fortune… On n’a pas besoin d’eux : ils ont besoin de nous ; mais, de « nous » qui veut dire le peuple et non pas dix mille, même cent mille personnes, même un million : le peuple ! Et, pour le moment, le peuple continue, comme si de rien –même si les élections italiennes confirment la tendance de l’Espagne, la semaine dernière, l’abstention continue de croître jusqu’à des sommets difficilement soutenables, même en démocratie formelle : terreau pour l’extrême-droite. D’ailleurs, à noter que, pour la première fois depuis des décennies, un partie xénophobe et allié de le Pen, a émergé en Catalogne dimanche dernier… Il en va et en ira de même dans toute l’Europe si personne n’est capable de redonner sens au désespoir, de mettre des mots sur des douleurs et des maux, de redonner ses lettres de noblesse à la politique et à l’Utopie.

Je sais et je suis certain que c’est cela qui sortira des débats épuisants menés dans le plus grand respect de la parole de tous et avec des manières de faire, tellement organisées, qu’il était impossible qu’un petit (ou un grand) leader apparût. Déjà Barcelone a décidé de prendre deux jours de plus afin de « se structurer et pouvoir dé »centraliser le mouvement vers la périphérie » ; Madrid, Séville et Valence viennent, à l’instant (minuit) de décider la même chose. Après, il s’agira d’unifier tous ces petits laboratoires, de les relier autrement que par le Net et les réseaux sociaux. Ces laboratoires portent le germe d’un autre possible, d’une véritable révolution (la première) qui met en avant et l’internationalisme et le pacifisme et la protection de la Nature ! L’Utopie vaut la peine t les gens y adhèrent pour peu qu’elle se montre de face, sans chichis. Le grand écrivain Galeano, disait l’autre jour, sur une chaîne catalane, alors qu’il était interrogé sur ce qu’il venait de voir à Madrid, à peu près ceci que je cite de mémoire : « Un ami cinéaste et moi étions en Colombie, devant un parterre d’étudiants et tout se passait bien jusqu’à ce que quelqu’un nous demande ce qu’est l’Utopie. Je regarde, perdu, mon ami et lui passe la parole en me disant « le pauvre » et, à ma grande surprise, il répond tranquillement cette phrase merveilleuse : l’Utopie, c’est comme l’horizon, toujours visible et toujours inaccessible, tu avances de dix pas et il recule de dix pas, mais tu avances ; l’Utopie, c’est cela, ce qui te permet et qui te fait avancer. »

Sans cela, le risque est grand de tomber dans ce qui, malheureusement, est devenu l’alternatives du Maghreb et du Makrech : démocratie réelle, réformisme mou ou recul et répression. Aucune révolution –et encore moins en ces temps où le pouvoir est tout aussi globalisé que les oppositions et aussi rapidement interconnecté- ne peut se faire sans l’appui des classes populaires et des intellectuels –je l’ai déjà dit- mais sans celui, également, de la petite bourgeoisie et des indépendants, eux aussi victimes du système. En fin de compte, les bénéficiaires du capitalisme sont très peu nombreux, alors pourquoi ses sbires tiennent-ils les rênes si fortement qu’on dirait des laisses invisibles au cou des citoyens avachis, abrutis, manipulés, aliénés ? C’est une des questions auxquelles il faudra répondre et qui n’est pas la plus difficile, afin de mettre en place des contre-pouvoirs efficaces (qui touchent et éveillent la conscience des peuples, au-delà de l’indignation). Pour les pays de l’hiver jasmin, sur la rive méridionale de la Grande Bleue, se défaire des multinationales et des puissances « alliées » encore à la tête des politiques et des militaires aujourd’hui démocrates, afin d’en terminer avec une réelle démocratisation, une réelle indépendance économique et politique, une réelle négociation avec Israël d’égal à égal et se sortir des bourbiers Syrien, Libyen, Yéménite, du Bahreïn, etc. Pour l’Espagne, se défaire du poids des restes du franquisme, récupérer la mémoire historique, et se trouver des alliances autres que celles des politiques aux ordres des agences de notation et de l’empire du marché des armes et de la drogue (le tourisme, pour ne citer que lui, repose sur le grand banditisme et la corruption généralisée, sur la péninsule). Pour tous, viser le FMI, la BM, le G8 et le G20… Parenthèse : Galeano disait aussi, dans la même interview que DSK, avant de violer l’employée de l’hôtel, avait violé impunément des pays et des continents entiers –ce qui peut donner une certaine idée de toute-puissance et il devrait être jugé pour les deux types de viols commis. Fin de la parenthèse.

Je ne vais pas revenir sur mes articles précédents concernant le mouvement Democracia Real Ya (DRY). J’y crois, je veux y croire et nous devrions, nous tous qui sommes pour un monde autre, être solidaires et y croire. La #spanishrevolution a les pieds bien sur terre et a fait preuve d’indépendance, de courage, de ténacité, de lucidité et d’énergies vitales qui la rendent capable non seulement de durer, mais d’aller jusqu’au bout. Il lui faut, à présent, avancer : l’horizon ! La graine semée a d’ores et déjà pris, il s’agit d’en récolter les fruits, en prenant soin, auparavant, et cela durera le temps que cela doit durer, de veiller jalousement à la santé des pousses ! Plus rien ne sera jamais plus comme avant (au Sud de la Méditerranée non plus) : cela a déjà touché le cœur ou l’estomac des partis de la gauche, quoi qu’ils disent, parce que les revendications sont réalistes et que l’analyse de départ est sans failles et inattaquable –raison pour laquelle l’effort doit porter sur l’enracinement de celles-ci parmi les couches les plus larges et de la manière la plus fertile possibles. Il n’est pas inutile de le rappeler : le mouvement est contre le système, mais pas apolitique, il vise à un changement de système, clairement progressiste –même s’ils n’aiment pas qu’on les compare à ce qui existe car ils veulent autre chose de complètement nouveau. Ils ont raison, raison pour laquelle c’est révolutionnaire. Ce contre quoi je les mets en garde c’est précisément cela : des demandes si réalistes au départ d’analyses si évidentes peuvent, si le processus n’est pas huilé et très bien structuré, aboutir à l’inverse de l’effet escompté : renforcer la social-démocratie dont les thèses pourraient se voir enrichies par le travail effectué tout au long de ces semaines par les jeunes et les moins jeunes « acampados ». Car, comme le souligne un politicien de Barcelone : « tout cela met en évidence, le manque de politique au niveau Européen susceptible de donner des réponses aux problèmes de la Société » (repris par le journal publico.es du 29/5)

En fait, le politique que l’on croyait mort, les idéologies et l’histoire finis, reviennent en force –et de quelle manière- sur le devant de la scène, avec des citoyens protagonistes, anxieux de redevenir sujets de leur destin et solidaires des affaires du monde. Jusqu’ici, la révolution cherche à se définir comme révolution sociale : représentation réellement démocratique, lutte contre la corruption et les privilèges, séparation effective et réelle des pouvoirs, contrôle citoyen sur les responsables et les responsabilités des politiques. Un des porte-parole de Sol a pu même déclarer que toutes ces revendications « a minima » se trouvaient déjà dans les textes de Loi et la Constitution, mais sans être respectées ni appliquées. En somme, une évolution plus qu’une révolution au sens classique du terme. Une évolution qui, sans s’en rendre vraiment compte, de se mettre en place, pousserait le système à s’embourber dans ses contradictions car, en l’état actuel du fonctionnement des affaires du monde, pouvoir et corruption, manipulation et mensonge, non respect des Constitutions et inégalités, maintien des privilèges et politiciens aux ordres du fantôme tout-puissant surnommé « communauté internationale » sont tout bonnement indispensables à sa survie !

Je terminerai cet article par les paroles de Natalia Muñoz, une des instigatrices du mouvement DRY : « il est logique que certaines choses que nous disons ne soit pas suffisamment rigoureuses car elles ne sont que l’expression d’un mal-être. C’est pour cette raison que nous avons besoin de l’appui de spécialistes et l’aide de tous ceux qui s’y connaissent dans chacun des points abordés. » (in publico.es, idem supra) en somme une espèce de deuxième transition –véritablement consensuelle et partie du peuple, cette fois- contrairement à celle, peureuse, qui suivit la mort du dictateur, l’instauration de la Monarchie et la rédaction d’une Constitution à la Belge, sous la pression des pouvoirs factieux encore en place, le souvenir des horreurs et, en même temps leur déni de fait, de la mémoire historique, le début des années de crise qui annonçaient les Thatcher-Reagan dont on connaît les méthodes, les objectifs et les limites imposées en des temps dits de Guerre Froide. Aujourd’hui, la rue redevient Agora, et l’on ne se contente plus d’abattre des murs, mais on emploie toute son énergie à construire des ponts. La Parole retrouvée –une Parole vraie tant au sens marxien qu’au sens lacanien du terme : quelle, belle et grande, révolution en ces temps d’uniformité et de replis frileux !

José Camarena 29/05/2011

© Hozé 5/2011
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source: http://samesoule.wordpress.com/2011/05/29/ce-n%E2%80%99est-pas-tout-de-le-dire/

Angela Davis



(France, 2010, 40mn)
ARTE France

http://videos.arte.tv/fr/videos/angela_davis-3926418.html


Angela Davis est aujourd'hui professeur de philosophie à l'université de Californie de Santa Cruz et milite toujours activement pour réformer le système judiciaire américain. Quarante ans après avoir été inculpée par le FBI puis acquittée pour un complot visant à libérer des prisonniers politiques noirs, elle revient sur les événements qui lui ont valu une notoriété politique internationale.

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Angela Yvonne Davis, née le 26 janvier 1944 à Birmingham dans l'État de l'Alabama, est une militante américaine communiste des droits de l'homme et un professeur de philosophie.

Militante des droits civiques, proche du Black Panther Party, elle fut poursuivie par la justice à la suite de la tentative d’évasion de trois prisonniers, surnommés les Frères de Soledad, qui se solda par la mort d’un juge californien en août 1970. Emprisonnée seize mois à New York puis en Californie, elle fut finalement acquittée et poursuivit une carrière universitaire qui la mena au poste de directrice du département d’études féministes de l’université de Californie. Ses centres d’intérêt sont la philosophie féministe, et notamment le Black Feminism, les études afro-américaines, la théorie critique, le marxisme ou encore le système carcéral. En 1997, elle fait son coming out auprès du magazine Out.

Elle fut à deux reprises, en 1980 et 1984, candidate à la vice-présidence des États-Unis pour le parti communiste américain.



Angela Davis est née dans une famille afro-américaine habitant l'Alabama des années 1940, alors que les lois Jim Crow imposaient toujours la ségrégation raciale dans le Sud des États-Unis. Son père était diplômé de St Augustine’s College, une institution réservée aux Noirs Américains située à Raleigh en Caroline du Nord. Il fut brièvement professeur d’histoire dans l’enseignement secondaire mais, estimant son salaire insuffisant, il quitta son emploi de professeur pour acquérir une station service dans le quartier noir de Birmingham (Alabama). Sa mère, qui mena aussi ses études jusqu’au supérieur, était professeur dans le primaire. La famille Davis occupe dans un premier temps les logements sociaux de Birmingham. En 1948, elle quitte les petites maisons uniformes en briques rouges qui composent le logement social de la ville pour une vaste maison en bois, dans un quartier qu’elle est la première famille noire à occuper. Rapidement après son arrivée, elle est suivie par de nombreuses autres familles noires. Cette mixité nouvelle exacerbe les tensions raciales. En 1949 a lieu le premier attentat contre une des maisons nouvellement construites par des Noirs. Il est le premier d’une longue série qui donne au quartier son surnom de « Dynamite Hill ».

Durant sa jeunesse, Davis est profondément marquée par son expérience du racisme, des humiliations de la ségrégation raciale et du climat de violence qui règne dans son environnement quotidien. Cette expérience s’accompagne des premiers éléments de socialisation politique. La famille d’Angela y joue un rôle important. Ses deux parents possèdent une expérience militante : au lycée, sa mère a participé à des mouvements antiracistes, militant notamment pour la libération des Scottsboro Boys. Ses deux parents sont par ailleurs membres de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Sa grand-mère maternelle, née quelques années après la Proclamation d'émancipation, lui parle de l’esclavage qu’avait connu ses propres parents. Ses premières vacances à New York, où elle goûte aux joies d’une vie non ségréguée dans la famille de son amie Margaret Burnham, sa future avocate, avive encore sa conscience des humiliations quotidiennes qu’impose la ségrégation. Plusieurs nouveaux épisodes viendront lors de ses visites ultérieures- entre six et dix ans, elle passe la plus grande partie de ses étés à New York-, réviser son jugement sur la situation idéale des Noirs dans le Nord.

Elle fréquente l’école primaire de Birmingham réservée aux Noirs. Abritée dans des bâtiments vétustes, elle est moins bien dotée financièrement que l’école réservée aux Blancs. Davis note toutefois que la ségrégation avait aussi pour effet de laisser aux enseignants noirs une marge de liberté qui leur permettait d’orienter le contenu de leur enseignement dans un sens qui favorisait l’émergence d’une identité spécifiquement noire. Outre The Star Spangled Banner, l’hymne national américain, les enfants apprenaient et chantaient en classe l’Hymne national noir de James Weldon Johnson. Ils se voyaient enseigner la vie des personnages historiques noirs qui avaient marqué la vie du pays comme Frederick Douglass, Sojourner Truth ou Harriet Tubman. Le modèle de réussite qui était proposé aux enfants noirs par les enseignants s’appuyait néanmoins selon elle sur une morale de la réussite individuelle qui masquait la dimension collective de la lutte qu’elle pensait devoir être mise en œuvre pour renverser le système raciste et libérer les Noirs de leur oppression.

À quatorze ans, alors qu’elle se dit ennuyée par « le provincialisme de Birmingham », elle doit choisir son orientation pour le lycée. Deux opportunités s’offrent à elle : elle est acceptée dans l’école préparatoire de l'Université Fisk de Nashville, une des institutions réservées aux Noirs les plus prestigieuses du pays, et au sein d’un programme expérimental de l’organisation quaker American Friends Service Committee qui place des étudiants noirs du Sud dans des écoles mixtes du Nord. Intégrer l’Université Fisk lui ouvrirait la voie des études médicales auxquelles elle se destine alors pour devenir pédiatre. La seconde option lui permettrait de rejoindre le lycée Elisabeth-Irwin, une école privée de Greenwich Village (New York) défendant les principes de l’éducation nouvelle. Après de longues hésitations, elle finit par choisir New York.

Son arrivée à New York marque une nouvelle étape dans sa socialisation politique. Elle est logée chez le révérend William Howard Melish. Pasteur de la plus grande église épiscopale de Brooklyn dans les années 1950, il avait perdu ses fonctions au terme d'un long bras de fer avec sa hiérarchie à cause de ses prises de position contre le maccarthisme et son affiliation à la Soviet-American Friendship Organization (Organisation de l’amitié américano-soviétique). Le corps enseignant du lycée Elisabeth Irwin que Davis a rejoint est dans sa grande majorité interdit d’enseignement dans le secteur public à cause de son positionnement politique marqué à gauche. C’est dans ce nouvel environnement qu’elle entend pour la première fois parler du socialisme, s’avouant notamment fascinée par les expériences utopiques, comme celle de Robert Owen. Elle lit le Manifeste communiste qui la conduit « à replacer les problèmes du peuple Noir dans le contexte plus large d’un mouvement de la classe ouvrière ».

Elle est introduite au sein d’une organisation de jeunesse marxiste-léniniste nommée Advance. C’est sa première expérience du militantisme. Elle y côtoie des amies de longues dates comme Margaret Burnham ou Mary Lou Patterson mais rencontre aussi à cette occasion Bettina Aptheker, la fille de l’historien communiste Herbert Aptheker dont le domicile accueille la plupart des réunions du groupe. Elle participe aux manifestations de soutien au mouvement des droits civiques qui connaît un nouvel élan avec la campagne de sit-in initiée le 1er février 1960 à Greensboro (Caroline du Nord). Davis a cependant le sentiment d’avoir quitté le Sud au moment où le mouvement prenait véritablement de l’ampleur et en éprouve une vive frustration. Elle se range néanmoins à l’avis de ses parents qui lui enjoignent de finir son année scolaire à New York.

En 1962, elle obtient une bourse pour étudier à l’université de Brandeis dans le Massachusetts. Elle est l’une des trois étudiantes noires de première année. Davis décrit cette première année comme une année d’isolement qu’elle « cultive de façon quelque peu romantique », se plongeant notamment dans les œuvres des existentialistes français (Jean-Paul Sartre, Albert Camus...). Son année universitaire est marquée par une série de conférences de l'écrivain James Baldwin sur la littérature qui est interrompue par la crise des missiles de Cuba ; Baldwin refuse de poursuivre son exposé mais s’exprime sur le conflit lors d’une assemblée générale, aux côtés du philosophe Herbert Marcuse que Davis entend pour la première fois. Elle occupe divers emplois pour financer un voyage en Finlande où se déroule le Festival mondial de la jeunesse et des étudiants. Elle s’arrête à Londres et passe quelques jours à Paris et à Lausanne. À Helsinki, elle se montre particulièrement impressionnée par l’énergie dégagée par la représentation que donne la délégation cubaine.

Lors de sa deuxième année à Brandeis, elle étudie la littérature et la philosophie française contemporaine ; Sartre en particulier continue de susciter son intérêt. Elle voit Malcolm X haranguer un amphithéâtre composé quasi exclusivement d’étudiants blancs, en leur annonçant la prochaine punition divine de leurs pêchés envers les Noirs.

À l'issue de son cursus, Davis obtient une prolongation de sa bourse pour suivre le programme français de troisième année du Hamilton College. En septembre 1963, elle passe ainsi un mois à Biarritz. C’est dans la station balnéaire française qu’elle apprend l’attentat qui a frappé l’église baptiste de sa ville natale de Birmingham où quatre jeunes filles sont tuées. Trois étaient de proches connaissances. Refusant d’y voir le résultat d’un comportement extrémiste isolé, elle analyse « cet événement violent et spectaculaire » comme l’expression paroxystique de « la routine quotidienne, souvent monotone, de l’oppression raciste ». Elle passe novembre à Paris, puis l’été à Francfort où elle assiste à des conférences de Theodor W. Adorno. Sa formation intellectuelle se poursuit : elle lit Marcuse et de retour à Brandeis se rapproche du philosophe après avoir assisté à sa série de conférences sur la pensée politique européenne depuis la Révolution française. Sur ses conseils, elle décide de partir étudier la philosophie à Francfort. Elle quitte les États-Unis en 1965, au milieu des émeutes de Watts.

En Allemagne, elle côtoie des étudiants allemands membres de l’Union socialiste allemande des étudiants, participe à des manifestations contre l'intervention militaire américaine au Viêt Nam ou contre la projection du film documentaire italien pro-colonisation Africa Addio et visite régulièrement Berlin-Est.

Pendant son séjour en Allemagne, le mouvement de libération des Noirs connaît de profondes évolutions et tend à se radicaliser dans le sillage du slogan Black Power. Frustrée de ne pouvoir participer à l’effervescence militante qui semble régner dans son pays, elle décide de rentrer aux États-Unis à l’issue de sa deuxième année en Allemagne. Marcuse, désormais en poste à l’Université de San Diego, accepte de reprendre la direction de sa thèse, initialement tenue par Adorno.

À son arrivée à San Diego, elle est privée de tout contact au sein du mouvement noir californien et adhère en désespoir de cause à l’organisation radicale des étudiants du campus dont l’action se tourne principalement vers la lutte contre la guerre du Viêt Nam. Elle subit à cette occasion sa première arrestation suite à une distribution de tracts. Souhaitant s’impliquer dans une action spécifique à destination des Noirs, elle travaille à organiser un conseil des étudiants noirs de l’université de San Diego, jusqu’alors inexistant. Sa première action est de participer à un comité de soutien à Ed Lynn, un soldat qui avait lancé une pétition contre la discrimination raciale dans l’armée.

Son implication militante lui révèle la profonde désunion du mouvement de libération des Noirs et les très fortes rivalités qui le traversent. Elle-même occupe une position très minoritaire au sein du mouvement.

Sur le plan des objectifs, elle s’oppose au séparatisme de certaines des organisations du Black Nationalism qui pensent que la libération du peuple noir doit passer par une séparation de la société blanche et la fondation d’une Nation Noire sur le sol américain ou africain. Sur le plan des moyens, elle refuse la méthode consistant à exacerber les antagonismes entre Noirs et Blancs dans le but de provoquer des soulèvements spontanés similaires à ceux de Watts ou de Détroit dans lesquels certaines organisations voyaient les prémices d’un soulèvement généralisé du peuple afro-américain.

Elle n’en refuse pas moins l’intégrationnisme qui fut la position de Martin Luther King. Le marxisme constitue un des éléments centraux de son positionnement : elle pense que la lutte de libération des Noirs doit s’insérer dans le mouvement révolutionnaire dont le socialisme constitue l’horizon. Or le marxisme est rejeté par une grande partie des organisations nationalistes qui le désigne, à l’image de Stokely Carmichael, le leader du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC), comme étant « la chose de l’homme blanc ». Les Blancs ont d’ailleurs été écartés des leviers de commande du SNCC à partir du printemps 1966. Pour les nationalistes, les Noirs ne doivent compter que sur leurs propres valeurs, leurs propres analyses et leurs propres forces pour se libérer.

Si Davis affiche son marxisme, elle hésite plus longuement avant de s’affilier au mouvement communiste. Elle met cette réticence initiale sur le compte de son parcours militant. En Allemagne notamment, elle s’est imprégnée d’un discours libertaire très critique à l’égard du communisme soviétique. Elle finit par adhérer en 1968 au Che-Lumumba Club, une section du parti communiste américain réservée aux Noirs. Elle rejoindra aussi le Black Panther Party dont la position révolutionnaire se caractérise par un égal refus de l’intégrationnisme et du séparatisme.

Une autre composante de son identité militante est son féminisme. Ce dernier est en partie nourri par son parcours militant au cours duquel elle se heurte au sexisme d’une partie du mouvement nationaliste noir voire d’une partie des organisations auxquelles elle appartient. On lui reproche notamment le rôle de leader qu’elle est amenée à assumer au sein du mouvement. Pour l’organisation Unided Slaves de Ron Karenga ou le poète Amiri Baraka (alors nommé Leroi Jones), le leadership masculin est un moyen pour les hommes noirs de regagner leur dignité face aux Blancs. La place des femmes au sein du mouvement ne peut être par conséquent que subordonnée à celle des hommes : les tâches domestiques et l’inspiration des leaders masculins sont les rôles qui leur sont dévolus. Davis estime au contraire qu’un authentique mouvement de libération doit lutter contre toutes les formes de domination : l’homme noir ne peut se libérer s’il continue d’asservir sa femme et sa mère.

Son adhésion au parti communiste américain et au mouvement des Black Panthers lui vaut d'être surveillée par le FBI. Elle enseigne en 1969 à l'UCLA - l'université de Californie à Los Angeles - mais en est renvoyée à cause de son activisme politique. Elle s'investit dans le comité de soutien aux Frères de Soledad, trois prisonniers noirs américains accusés d'avoir assassiné un gardien en représailles de l'assassinat d'un de leur codétenu. Elle est accusée d'avoir organisé une prise d'otages dans un tribunal dont l'issue a été meurtrière : Jonathan Jackson, le jeune frère de George Jackson, le juge et deux autres prisonniers sont tués après que la police a ouvert le feu sur leur véhicule. Commence alors une cavale à travers les États-Unis : elle apparaît sur la liste des femmes les plus recherchées par le FBI. Ce dernier, dirigé par J. Edgar Hoover, lutte dans le cadre du programme COINTELPRO contre les Black Panthers et les communistes dans un contexte de guerre froide et de guerre au Viêt Nam . Après deux semaines de cavale, elle est arrêtée dans un hôtel, puis emprisonnée pendant seize mois à New York puis en Californie, à San Marin puis à San José, avant d'être jugée et acquittée. À New York, elle est d'abord placée dans une cellule d’isolement aménagée spécialement pour elle au sixième étage de la prison. Elle entame une grève de la faim pour exiger son placement avec les autres détenues et, au dixième jour de grève, une décision du tribunal fédéral enjoint aux autorités pénitentiaires de suspendre son isolement, jugeant injustifié un régime exceptionnel motivé par les opinions politiques d’un détenu. Le 5 janvier 1971, elle est officiellement inculpée par l’État de Californie de meurtre, kidnapping et conspiration. Transférée en Californie, elle comparaît avec Ruchell Magee, le seul survivant de la fusillade.

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Son affaire connaît un retentissement international. En France, Jean-Paul Sartre, Gerty Archimède, Pierre Perret et des milliers de manifestants la soutiennent.

Dès sa sortie de prison en 1972, Angela Davis se met à publier. Ses essais autant que ses discours véhéments en font l'une des intellectuelles radicales les plus connues de l'époque : la paix au Vietnam, l'antiracisme, le féminisme constituent son credo.

En 1980 et en 1984, Angela Davis se présente aux élections présidentielles américaines comme vice-présidente du candidat communiste Gus Hall.
Angela Davis : rebelle à la politique de son propre pays, enseigne aujourd'hui l'Histoire de la Prise de conscience dans une université californienne.

De nos jours, Angela Davis est professeur d'histoire de la conscience à l'Université de Californie (campus de Santa Cruz). Elle fait campagne contre la guerre en Irak. Elle a reçu le Prix Thomas Merton en 2006. Angela Davis rejoint le « Comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l'agent orange et au procès de New York » (CIS) conduit par André Bouny. Elle lutte contre l'industrie carcérale et la peine de mort aux États-Unis et dans le monde.


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