mercredi 4 novembre 2009

extrait du Loup des steppes (H. Hesse)



"Ah qu’il est donc difficile de retrouver cette trace divine au milieu de la vie que nous menons, de cette vie si satisfaite, si bourgeoise, si dénuée d’esprit en face de ces bâtisses architecturales, de ces affaires, de cette politique, de ces hommes ! Comment ne serais-je pas un loup des steppes et un ermite hérissé au milieu d’un monde dont je ne partage aucune des ambitions, dont je n’apprécie aucun des plaisirs ! […] à peine puis-je lire un journal, rarement un livre contemporain ; je ne comprends pas quelle est cette jouissance que les hommes cherchent dans les hôtels et les trains bondés, dans les cafés regorgeant de monde, aux sons d’une musique forcenée, dans les bars, les boîtes de nuit, les villes de luxe, les expositions universelles […], les corsos, les stades : tous ces plaisirs qui me seraient accessibles et que des milliers d’autres convoitent et poursuivent aux prix d’efforts, je ne puis ni les comprendre ni les partager. En revanche, ce qui m’arrive dans mes heures rares de jouissance, ce qui m’est émotion, joie, extase et élévation, le monde l’ignore, le fuit et le tolère tout au plus dans la poésie ; dans la vie, il traite cela de folie. En effet, si la foule a raison, si cette musique des cafés, ces plaisirs collectifs, ces hommes américanisés, contents de si peu, ont raison, c’est bien moi qui ai tort, qui suis fou, qui reste un loup des steppes, un animal égaré dans un monde étranger et incompréhensible […]"


(Le loup des steppes – Hermann Hesse)

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