dimanche 24 juillet 2011

Isidor Isou (Lettrisme et érotisme)


Fondé en 1945 par Isidore Isou, le lettrisme s'est imposé dans un moment de l'histoire universelle comme le seul mouvement révolutionnaire après le dadaïsme et le surréalisme. Ami de Tristan Tzara, père spirituel de Guy Debord, Isidore Isou proclame la destruction de la poésie à mot au profit d'une esthétique basée sur la lettre et le signe.
Au-delà de la poésie, le lettrisme développe une œuvre protéiforme et souvent méconnue, visant, grâce au concept de création généralisée, à transformer l'ensemble des branches du savoir : de la théorie de l'art au bouleversement de la société et de la vie.

La poésie lettriste:
« Il importait pour cela de les (les mots) soustraire à leur usage de plus en plus strictement utilitaire, ce qui était le moyen de les émanciper et de leur rendre tout leur pouvoir. Ce besoin de réagir de façon draconienne contre la dépréciation du langage, qui s'est affirmé ici avec Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé – en même temps qu'en Angleterre avec Lewis Carroll -, n'a pas laissé de se manifester impérieusement depuis lors. On en a pour preuves les tentatives d'intérêt très inégal, qui correspondent aux "mots en liberté" du futurisme, à la très relative spontanéité "Dada", en passant par l'exubérance d'une activité de "jeux de mots" se reliant tant bien que mal à la "cabale phonétique" ou "langage des oiseaux" (Jean-Pierre Brisset, Raymond Roussel, Marcel Duchamp, Robert Desnos) et par le déchaînement d'une "révolution du mot" (James Joyce, E.E. Cummings, Henri Michaux) qui ne pouvait faire qu'aboutir au "lettrisme".»
André Breton, "Du surréalisme en ses œuvres vives", 1953



Dès 1945, date de son arrivée de Roumanie à Paris à tout juste 20 ans et jusqu’à aujourd’hui, il opère d’une manière systématique le dépassement de nombreuses disciplines rarement convoquées par un seul et même créateur… La poésie, la musique, les arts plastiques, le cinéma, le théâtre, la danse, les sciences, la philosophie, la médecine, etc. sont bouleversés par des concepts nouveaux baptisés lettrisme, hypergraphie, soulèvement de la jeunesse, art infinitesimal ou esthapéïrisme, cadre supertemporel, psychokladologie… tous précisés par sa propre méthode de création consciente, la Créatique…
La complexité du Lettrisme, ses prétentions utopistes et réellement subversives, les incessantes polémiques ainsi que ses nombreux adeptes (dont Guy Debord reste paradoxalement le plus connu), ont certainement occulté l’oeuvre personnelle d’Isou...


L'érotisme comme champ d'expériences et de connaissance a été très tôt abordé par le lettrisme : depuis le scandale de la "Mécanique des femmes" en 1949 jusqu'aux sérigraphies réalisées sous l'égide de Fransesco Conz en 1988 à partir des planches du cultissime "Initiation à la haute volupté" (1960), sans compter les ouvrages nombreux d'Isou publiés sous pseudonyme ou non relevant d'une littérature "sexy" et dont la plupart livre toujours leur lot de pépites et de trouvailles, malgré les règles d'un genre hautement stéréotypé, ou encore le très didactique "Je vous apprendrai l'Amour" (1959)... l'énigme de la chair n'a cessé de se voir interrogée dans une quête incessante de multiplication d'un principe de plaisir enfin libéré de l'ascétisme et de la culpabilité judéo-chrétienne autant que de la métaphysique romantique (manifeste chez les surréalistes par exemple).
Chez Lemaître le Nu comme catégorie héritée du champ artistique et exercice de style occupe une place de choix (c'est le moins que l'on puisse dire !), sans pour autant négliger la part libidinale aventureuse qui en est le pendant théorique, érotologique. Car l'érotisme dans le lettrisme est une thématique artistique autant qu'un discours sur l'amour, voire une science de l'amour qui cherche à procurer sur le plan de la sexualité individuelle ce que l'économie nucléaire entend créer à l'échelle collective : la prodigalité. Qu'il s'agisse d'Au delà du déclic (film hypergrahique,1965), de sa peinture et surtout de sa production photographique, en intégrant l'élément figuratif (le nu dessiné ou photographié) comme un signe particulier dans une grammaire personnelle, il donne à un genre académique à souhait une dimension nouvelle, hypergraphique, où le corps référentiel se voit disputer l'espace où il trône souverainement par les signes dont il est désormais le support électif, quitte à s'y dissoudre totalement (je pense particulièrement, et sans rapport avec le Nu (!) à un portrait hypergraphique de Michel Tapié de 1964). Comme le Portrait, le Nu est a priori un exercice qui autorise tous les styles. Force est pourtant de constater qu'en ce domaine comme en tant d'autres on peine à s'émanciper de la pesanteur du réel comme justification ultime du geste : qu'il s'agisse de néoréalisme, de réalisme, de surréalisme ou d'hyper-réalisme comme l'image pornographique contemporaine (chic ou choc), le réel est cet horizon qu'il ne faut jamais dépasser. Les nombreuses photographies de Lemaître (qui ont déjà fait l'objet de plusieurs expositions) comme celles d'Alain Satié (notamment celles qui constituent le superbe recueil Tatouages, 1969), les récits hypergraphiques de François Poyet Poïesis et Champs Panhellesiques (1970) parmi d'autres nous rappellent aussi qu'il y a traitement hypergraphique de la thématique érotique en général et du nu féminin en particulier. A ceux et celles qui pensent que 1929 de Perêt, Eluard et Man Ray représentent un moment inspiré de l'érotisme artistique (certes, certes) et poétique (plus discutable !), je les engage à consulter d'urgence ce livre/objet incu(l)nable et remarquable Cul en tête ou au service de l'hypergraphie de Roland Sabatier et Alain Satié (1969) .

Source: Les cahiers de l'Externité
















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