samedi 31 octobre 2009

exrtait des chemins qui ne mènent nulle part (Heidegger)

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On expédie les oeuvres d'art comme le charbon de la Ruhr ou les troncs d'arbres de la Forêt Noire. Les hymnes de Hölderlin étaient, pendant la guerre, emballés dans le sac du soldat comme les brosses et les cigares. Les quatuors de Beethoven s'accumulent dans les réserves des maisons d'édition comme les pommes de terre dans une cave. Toutes les oeuvres sont ainsi des choses par un certain côté"
L'oeuvre d'art est bien une chose, chose amenée à sa finition, mais elle dit encore quelque chose d'autre que la chose qui n'est qu'une chose: allo agoreuei. L'oeuvre communique publiquement autre chose, elle nous révèle autre chose, elle est allégorie.


Heidegger, extraits des Chemins qui ne mènent nulle part





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Ikebana

Egalement connu sous le nom de kadō, la Voie des fleurs ou l'art de faire vivre les fleurs est un art traditionnel japonais basé sur la composition florale.
L'Ikebana, est un art dans lequel la disposition des éléments du bouquet est réglée par une symbolique précise, héritée du rituel bouddhiste visant, au delà de la recherche d’un certain esthétisme, à la concentration, dans le but de s'unir à ce que les Japonais appellent «le cœur des fleurs». Cet art se distingue nettement des compositions florales occidentales par sa symbolique, son asymétrie et sa recherche de l’utilisation de l’espace.


ikebana




Ikenobô, la plus ancienne école, enseigne encore les styles traditionnels comme le rikka et le shôka. Elle reste fidèle à la triade asymétrique et à l'idée de l'ikebana comme exercice spirituel.

Ohara, plus récente, a laissé le rikka traditionnel et le shôka, mais a relancé une forme modernisée du moribana et renoué, sinon avec la forme, du moins avec l'esprit paysager du rikka. Elle s'est ouverte aussi à l'abstraction et aux fleurs de l'Occident ainsi qu'à ses méthodes modernes d'enseignement.

Sôgetsu, la plus révolutionnaire, la moins enracinée dans la tradition japonaise et la plus proche de l'art floral occidental, fait davantage appel à la subjectivité de l'artiste et se donne plus de liberté dans le choix des formes et des matériaux.

moribana

Voici des textes de grands maîtres de ces écoles qui témoignent de leur esprit :

Très tôt dans l'histoire du Japon, il se créa une relation logique où homme et nature étaient envisagés comme une unité, où la vie de l'homme et celle de la fleur étaient indissociables. Cette attitude - fruit du shintô originel, du bouddhisme et enfin du confucianisme - a joué un grand rôle dans la formation de l'individualité japonaise. Une des nombreuses conséquences de cette attitude a été de susciter une étude profonde des fleurs, de leur essence et de leur nature, ainsi que la formation d'une tradition de compréhension à leur égard. Sen'ei Ikenobô

Le moribana, tant traditionnel que moderne nous a longtemps semblé le véhicule d'élection de la création florale mais nous dirions volontiers que quiconque désire s'exprimer par cette technique créatrice doit d'abord regarder la nature - cette nature au sein de laquelle nous vivons et qui, elle aussi, vit en nous. Peu importent les matériaux employés - fleurs de chez le fleuriste, simples fleurs de jardin ou même herbes sauvages ou toutes plantes dépourvues de fleurs - l'essentiel est que l'arrangement créé témoigne d'une observation sincère et d'une compréhension réelle de la nature : c'est là le centre même du véritable esprit de l'ikebana. Houn Ohara


L'ikebana est quelque chose de très différent du simple fait de décorer avec des fleurs. Il nous donne bien davantage qu'un décor de la table ou du tokonoma. Il apporte l'art. Et nous modelons ces choses vivantes comme le sculpteur modèle la glaise ou le plâtre ... C'est à ce moment que le miracle s'accomplit. Une poignée de fleurs, un plateau de feuilles devient autre chose que le simple total de ses éléments. Fleurs et tiges ont été combinées et comme recréées en quelque chose de nouveau en un ikebana qui exprime à la fois l'esprit des fleurs et le coeur de son auteur. L'humanité a pénétré le monde de la nature et en a tiré cet ouvrage qui devient objet de contemplation. Sôfu Teshigahara


Nous avons, dans les lignes qui précèdent, évoqué plusieurs fois le Zen. C'est que cette branche du bouddhisme est à la source de l'art floral japonais comme voie de sagesse. Celui-ci vise plus loin qu'à être une activité décorative, il veut conduire à une certaine harmonie intérieure, et c'est ainsi que tous ses maîtres l'ont compris depuis les premiers moines bouddhistes qui l'ont inventé jusqu'aux fondateurs des écoles modernes.
La sagesse du zen, avec laquelle l'ikebana a partie liée, vise à faire prendre conscience au pratiquant de son insertion dans un mystère de vie qui le porte et le dépasse. Tous les êtres dans l'univers partagent une communauté d'existence, plongent leurs racines dans le même terreau, participent au même Etre. Le zen ne cherche pas à faire réfléchir sur cet enracinement, mais à le faire expérimenter en réalisant une harmonie intérieure. Pour cela il met en jeu des techniques de méditation comme le zazen, les koans, mais aussi des arts décoratifs ou martiaux qui présentent entre eux beaucoup d'analogies. C'est ainsi que les styles de base de l'ikebana sont, comme les katas des arts martiaux, des structures matricielles dans lesquelles l'artiste peut se couler et se déposséder de ses réflexes individualistes. Le moi s'efface, laissant place à la manifestation d'une énergie plus profonde. Comme l'écrit D. Richie : "Si le but de l'arrangement floral japonais est véritablement de rendre les fleurs vivantes, de faire que l'arrangement se suffise à lui-même tout en symbolisant toutes les fleurs de ce monde, on ne peut manquer de saisir qu'une impulsion du genre du ki - immersion totale du créateur dans sa création - est chose absolument nécessaire."

En réalisant un bouquet, l'ikebaniste crée un micro-monde. Ce faisant, il se reporte à la création du monde, s'identifie à l'origine, à la source de l'univers, et l'énergie qui le traverse et l'inspire dans sa création tend à mimer celle qui préside au déploiement du cosmos. Le fruit de son travail, quelque modeste qu'il soit, est un microcosme relié à l'infini du monde par des liens invisibles qui rattachent à son centre tous les points de l'univers. Vision démesurée dira-t-on ? Non pour celui qui comprend qu'un bouquet japonais, qu'il soit structuré selon la triade ciel-homme- terre, ou unifié dans la monade d'un chabana, exprime symboliquement la totalité cosmique et célèbre les noces du visible et de l'invisible. Il ne fait en cela que réaliser le projet de toute œuvre d'art tel que l'évoque Schelling :"L'effet le plus éminent de l'art est de saisir et mesurer comme d'un seul regard la grandeur absolue, l'infini en soi, le saisir dans la finitude." Et tel que le décrit Valéry : "Etant spatialement limité, l'œuvre d'art représente le modèle d'un monde illimité... un modèle fini d'un monde infini... l'œuvre d'art est en principe la re-production de l'infini dans le fini."


ikebana




Mais ceci, on le voit, s'applique à de nombreuses formes de création artistique. L'ikebana a ceci de spécifique qu'il utilise des éléments tirés du monde végétal. Il réorganise le premier étage du monde vivant et prolonge la nature architecte. Que l'étage animal soit hors de ses préoccupations coïncide certes avec des impératifs pratiques. Ce que les peintres de fleurs des XVIIème et XVIIIème siècles faisaient en introduisant des animalcules dans leurs bouquets (limaces, insectes, lézards. . .), on voit mal comme l'ikebaniste pourrait le faire. Mais, plus profondément, on peut discerner chez celui-ci le désir de retourner à une nature calme, pacifiée, à une nature d'avant la mobilité et l'agitation animale. Le monde végétal n'est pas aussi conflictuel et tourmenté que le monde animal. En se concentrant, en méditant sur lui, L'ikebaniste affirme son désir de retrouver une paix originelle, une sérénité d'avant la course et le cri. Il est ainsi fidèle à son inspiration bouddhiste, car si la vie végétale est vie à part entière - et indispensable, que serions-nous sans elle ? - elle est aussi l'image d'une vie humaine pacifiée, sans souffrance, c'est-à-dire, selon le bouddhisme, d'une vie accomplie.


Au Japon, durant des siècles, le zen a été au cœur de nombreuses démarches, et le maître du tir à l'arc comme le maître de calligraphie, de cérémonie du thé ou d'art floral est celui qui, dans sa discipline propre, et grâce à elle, a pu réaliser son harmonisation personnelle avec l'univers et tous les êtres. Ainsi l'ikebana est une plante qui a fleuri dans la terre du zen et constitue encore aujourd'hui l'une des voies par laquelle cette sagesse peut être atteinte : "la voie des fleurs", dit joliment Gusty Herrigel. La voici, poétiquement évoquée par deux grands maîtres zen :


"Une fleur s'épanouit
printemps sur toute la terre"

Lin Tsi

Voir dans sa propre nature
est voir par soi-même
le vrai visage du lotus

Hakuin




ikebana



Mais l'ikebana ne recouvre pas qu'une démarche intérieure, il est aussi au Japon un moyen de communication sociale comme le met en relief la cérémonie des fleurs qui se pratique encore dans certains milieux traditionnels à l'instar de la cérémonie du thé. Comme celle-ci, celle-là se passe entre un maître ou une maîtresse de maison et un invité.
Dans un premier temps, l'invité se recueille devant la niche (tokonoma) où sont placés la composition florale et le tableau (kakemono) préparés par son hôte. Puis il porte toute son attention sur la composition pour s'imprégner de l'esprit qui a inspiré sa réalisation.

Dans un second temps, le maître de maison invite son hôte à confectionner lui-même un bouquet. Il lui fournit le matériel pour cela et se retire. L'hôte s'agenouille alors et, assis sur ses talons, examine les végétaux et la coupe qu'on lui a confiés. En les regardant, il laisse naître en lui une inspiration qui va guider son travail. Celui-ci dure le temps qu'il faut. Dans un dernier temps, le maître de maison invite ses hôtes et sa famille à venir admirer l'œuvre. Tout le monde se met en demi-cercle autour des deux bouquets et les contemple en silence en essayant de communier à ce que leurs auteurs ont voulu exprimer.
Aujourd'hui ces traditions se perdent et l'ikebana devient, au Japon même, l'objet d'un mercantilisme qui le vide de son esprit d'origine. Cet esprit dont Bashô a si bien parlé :
"En matière d'art, il convient de suivre la nature créatrice et de faire des quatre saisons ses compagnes. De ce que nous voyons, il n'est rien qui ne soit fleur, de ce que nous ressentons, rien qui ne soit lune. Qui dans les formes ne voit la fleur est pareil aux barbares. Qui en son cœur ne ressent la fleur s'apparente aux bêtes brutes. Sors de la barbarie, écarte-toi de la bestialité, suis la nature et retourne à la nature !"
"De ce que nous voyons, il n'est rien qui ne soit fleur". Le plus grand poète japonais identifie donc le monde, la nature entière, à une fleur. Pour lui, suivre la nature et ressentir la fleur sont une même chose. Sans doute est-ce vers ce symbolisme cosmique des fleurs qu'il faut se tourner pour comprendre l'importance de l'ikebana dans les traditions de l'art floral.



source: http://pagesperso-orange.fr/famille.delaye/Ikebana/espritikbn.html

mercredi 28 octobre 2009

Remedios Varo

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Maria de los Remedios Varo y Uranga est née le 16 décembre 1908 à Anglés, un petit village de la province de Gérone en Espagne. Son enfance est marquée par le dynamisme de son père, Rodrigo Varo y Cejalbo, qui était ingénieur-hydraulicien, et la fervente spiritualité de sa mère. En 1913 commence le vagabondage de Remedios : la famille suit partout le père dans ses déplacements à travers l'Espagne et l'Afrique du Nord. Le travail de son père et la précision des mécaniques complexes seront une source d'inspiration dans certaines oeuvres de Remedios Varo. Ils finissent par se fixer à Madrid, et Remedios connaît la sévérité de l'éducation espagnole, le poids de la tradition et la formation des jeunes filles de ces années-là. Après deux ans d'études à l'École des Arts et Métiers de Madrid, elle suit les cours à l'Academia de San Fernand, un apprentissage artistique strict et académique. Mais Remedios, qui s'intéressait depuis toujours au surnaturel, est fortement attirée par le projet surréaliste, où elle reconnaît la possibilité d'échapper à cette société rigide par laquelle elle se sent oppressée, mais dans laquelle elle se voit également en tant qu’héritière de l'art espagnol.

En 1928, Remedio Varo se marie avec le peintre et anarchiste Gerardo Lizárraga, puis le couple monte sur Paris.
De retour en Espagne, ils se séparent en 1932. Varo s'installe à Barcelone et partage un studio avec le peintre surréaliste Esteban Francés.

Elle fréquente le groupe "Logicophobiste" et participe à une exposition sponsorisée par les "Amics de l'Art Nou" une petite organisation pour la promotion de l'art d'avant-garde. Elle rencontre le poète Benjamin Péret qui était venu en Espagne en tant que volontaire républicain.

En 1936, le soulèvement militaire conduit par Franco contre le gouvernement de Front Populaire de la jeune république espagnole provoque la guerre civile qui ravagea l'Espagne. En 1937, Remedios Varo et Péret partent ensemble à Paris, fuyant les horreurs de la guerre. Elle se trouve immergée dans le cercle intime des surréalistes et fait connaissance avec Miró, Max Ernst, Victor Braumer, Wolfgang Paalen, André Breton et Leonora Carrington. C'est une période difficile où elle gagne sa vie en tant que traductrice et en peignant de faux Georgio de Chirico.

En 1940, le couple fuit vers Marseille en attendant leur visa pour le Mexique qui offre l'asile aux réfugiés espagnols et aux membres des brigades internationales. Fin 1941 ils arrivent à Mexico City où ils retrouvent son amie Leonora Carrington et plusieurs autres surréalistes. Au Mexique les artistes européens en exil restent en marge de la culture révolutionnaire, car leurs collègues mexicains militants sont souvent méprisants à l'égard de ces intellectuels qu'ils jugent décadents.

Varo travaille pour le bureau antifasciste en réalisant des dioramas et des petites scènes illustrant les victoires des Alliés. Elle mène une vie modeste. Elle peint des décors sur des meubles et des instruments de musique pour Clardecor, dessine des costumes de théâtre et des illustrations publicitaires pour la firme pharmaceutique Bayer.

Varo et Péret se séparent en 1947 et Péret retourne vivre à Paris. C'est à ce moment-là, en se libérant de l'influence trop contraignante des surréalistes que Varo trouve sa propre voie.

En 1949, Remedios Varo se marie avec Walter Gruen. Gruen, un exilé autrichien qui avait été incarcéré dans les camps des concentrations en Allemagne et en France, était venu au Mexique en 1942 et était devenu un homme d'affaires prospère. Ils se connaissaient depuis 1940, mais c'est seulement après la mort de la première femme de Gruen, le départ de Péret et la séparation de Varo et Jean Nicolle qu'ils formèrent un couple. Il l'encourage à reprendre la peinture et c'est grâce à sa bonne situation qu'elle peut enfin se consacrer à la peinture.

Remedios Varo se fait connaître pour ses toiles chargées d'une poésie irréelle, inspirées par l'alchimie ou par ses lectures de René Daumal.

En 1955, Remedios Varo expose pour la première fois au Mexique. En 1956, est organisée sa première exposition individuelle.Ses toiles suscitent un vif enthousiasme, aussi bien du public que de la critique.

Remedios Varo était de nature anxieuse, elle avait très peur de la maladie et de vieillir. Elle se plaignait également que son succès était une source supplémentaire de stress. Elle disait régulièrement que vers ses soixante ans, elle aimerait se retirer de la vie publique, et finir ses jours dans un cloître Carmélite près de Cordoba fondé par un de ses ancêtres. Mais ce n'était qu'un fantasme, car il est très peu probable qu'ils auraient accueilli à bras ouverts une artiste telle que Varo. On ne le saura jamais, le 8 octobre 1963, alors que personne ne s'y attendait, elle meurt d'un infarctus à 54 ans.





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(La despedida)

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(Hacia la Torre)

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(Creation de las aves)

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remedios varo
(Les feuilles mortes)






"Remedios, la féminité même, ici en hiéroglyphe le jeu et le feu dans l'oeil de l'oiseau" (André breton)

lundi 26 octobre 2009

le grand magicien (Daumal)

Il y avait un puissant magicien qui habitait rue Paupère dans une mansarde. Il vivait là sous les apparences d'un petit employé vieillot, propret et ponctuel. Il travaillait dans une succursale du Crédit Mystique, avenue des Humbles. Il aurait pu, d'un coup de cure-dents magique, transmuer en lingots d'or toutes les tuiles du toit. Mais c'eût été immoral, car le travail, pensait-il, ennoblit l'homme. Et même la femme, dans une certaine mesure, ajoutait-il.

Quand la tante Ursule, une vieille chipie, qui venait d'être ruinée par la dégringolade des titres viragonais, vint s'installer chez lui et exiger sa protection, il n'aurait tenu qu'à lui de la transformer en une jeune et jolie princesse, ou en cygne qu'il aurait attelé à son char magique, ou en oeuf à la coque, ou en coccinelle, ou en autobus, mais c'eût été contraire aux saines traditions familiales, fondement de la société et de la morale. Aussi couchait-il sur le paillasson, se levant à six heures pour préparer le café de tante Ursule et aller lui chercher des croissants; après quoi il écoutait patiemment l'engueulade quotidienne, parce que le café sentait le savon et qu'il y avait un cafard cuit dans un des croissants, et qu'il était un neveu indigne, et qu'il serait déshérité, de quoi ? on se le demande; et il laissait dire, sachant que s'il avait voulu... mais tante Ursule ne devait pas se douter qu'il était un puissant magicien. Cela aurait pu faire naître en elle des idées de lucre qui lui auraient fermé à tout jamais les portes du Paradis.

Ensuite le grand magicien descendait ses six étages, et se cassait parfois la figure dans l'escalier homicide et graisseux, mais il se relevait avec un fin sourire, pensant que s'il avait voulu, il se serait mué en hirondelle et aurait pris son essor par la lucarne, mais les voisins auraient pu le remarquer, et pareil prodige aurait ébranlé dans ces âmes simples les fondements d'une foi naïve mais salutaire.

Arrivé dans la rue, il époussetait de la main son petit veston d'alpaca, en prenant soin de ne pas prononcer les formules qui l'auraient changé instantanément en chasuble de brocart, ce qui aurait mis un doute pernicieux dans le coeur des passants, si heureux dans leur ingénue conviction en l'immuabilité des lois naturelles.

Il déjeunait au zinc de prétendu café et d'un petit pain moisi; ah! s'il avait voulu!... Mais pour bien s'empêcher d'utiliser ses pouvoirs supra-normaux, il avalait en vitesse cinq cognacs, car l'alcool, alourdissant ses facultés magiques, le ramenait à une sainte humilité et au sentiment que tous les hommes, même lui, étaient frères, et s'il s'était rebuffé sous prétexte de sa barbiche sale quand il voulait embrasser la caissière, c'est que la caissière n'avait pas de coeur et ne comprenait rien aux paroles de l'Écriture. A huit heures moins le quart, il était au bureau, manchettes aux avant-bras et plume à l'oreille, et parcourait son journal. Il aurait pu, d'un simple effort de concentration, connaître à l'instant tout le présent, le passé et le futur du monde entier, mais il s'astreignait à ne pas faire usage de ce don. Il devait lire le journal, pour ne pas perdre l'usage de la langue populaire, grâce à laquelle il pourrait, à l'heure de l'apéritif, communiquer avec ses semblables en apparence, et les guider sur la voie du bien. A huit heures commençait le grattage de papier, et s'il commettait parfois une négligence, c'était afin que la semonce du chef de service fût justifiée; autrement, en lui faisant une remontrance imméritée, son chef aurait commis un grave péché. Et toute la journée le grand magicien, sous l'aspect modeste d'un petit employé, poursuivait son oeuvre de guide de l'humanité.

Pauvre tante Ursule! Lorsqu'à midi il rentrait, ayant oublié d'acheter du persil, au lieu de lui casser la cuvette sur la tête, si elle avait su ce qu'était réellement son neveu, elle aurait agi tout autrement, certes, mais elle n'aurait jamais eu l'occasion de constater à quel point il est vrai que la colère est une courte folie.

S'il avait voulu!... Au lieu de mourir à l'hôpital, d'une maladie anonyme et d'une mort à peine chrétienne, sans laisser de traces sur terre qu'une jaquette miteuse dans la garde-robe, une vieille brosse à dents, et des souvenirs narquois dans les coeurs ingrats de ses collègues, il aurait pu être pacha, alchimiste, mage, rossignol ou cèdre du Liban. Mais c'eût été contraire aux secrets desseins de la Providence. Personne ne fit de discours sur sa tombe. Personne n'avait soupçonné qui il était. Et, qui sait? lui-même non plus, peut-être.

C'était pourtant un bien puissant magicien.


(extrait des Pouvoirs de la parole de René Daumal)

dimanche 25 octobre 2009

Le Théâtre de la Magie

La Magie n’est pas une religion dans le sens où la plupart des gens comprennent ce mot. La religion, dans le sens commun du terme, est même le contraire de la magie. L’une limite, l’autre libère. L’une exige des acrobaties intellectuelles pour adopter des croyances loufoques, l’autre consiste à adopter volontairement des croyances loufoques pour satisfaire ses buts. Ensuite, elle les élimine. La religion aspire à un seul mode de vie pour tout le monde, en tout temps et en tous lieux. A contrario, la Magie exige de la personnalité et de souplesse mentale.

Le magicien s’extrait de lui-même du monde « réel » pour se précipiter dans des situations bizarres préalablement planifiées. Il s’agit pour lui d’un théâtre des opérations ayant pour fonction d’affiner sa perception du monde et de ses différents rôles à l’intérieur de ce monde.

La religion exige une pensée pour ainsi dire vierge et de stigmatiser certains actes comme étant « mauvais ». La Magie embrasse et tente de comprendre tous les aspects de l’existence et de la pensée dans le but d’en faire quelque chose de différent, de chaud ou de froid, mais en aucun cas de tiède.

Le magicien ne croit en rien, dans le sens d’« avoir la foi ». Il expérimente concrètement pour s’assurer que les postulats qu’il a bâtis ou empruntés, possèdent quelque vérité ou valeur. Il est vrai qu’il conserve certaines croyances « organiques » pour son confort. Par exemple, il croit que le fauteuil dans lequel il est assis ou s’apprête à s’asseoir est réel – la plupart du temps. Mais ceci correspond moins à un processus mental qu’à un réflexe instinctif et organique, conditionnel de l’existence.

D’un point de vue abstrait, il existe de nombreux concepts qu’il utilise sans y croire, sauf dans des conditions soigneusement choisies. Les anges et les démons, par exemple, en tant qu’archétypes de la connaissance, l’énergie ou le pouvoir personnels sont d’utiles véhicules pour l’invocation, grâce auxquels le magicien peut examiner des facettes de lui-même, qui lui sont autrement difficilement accessibles. Dans cette finalité, il doit être capable de suspendre son incrédulité, et c’est ce que permet le Théâtre de la Magie.

Théâtre est le terme le plus approprié ici, car le Magicien s’extrait de ce qu’il estime normalement être la réalité, pour créer un univers malléable par le biais de sa volonté, son intelligence et son imagination. Plus étrange sera ce théâtre et moins le magicien risquera de confondre les activités qu’il y mène avec ses occupations quotidiennes.

Le théâtre inspiré de la Tradition est aussi valable que n’importe quel modèle de base. Il est improbable, absurde et parfaitement équipé. Le magicien possède une pièce spéciale, avec un décor particulier et des instruments spécifiques. Pour un non-magicien, cette pièce inspirera la peur, l’émerveillement ou l’hilarité. Pour le magicien, elle suscite un état d’esprit particulier et induit des changements.

L’aspirant magicien, s’il n’a pas d’idées, peut emprunter aux contes pour enfants ou aux grands textes de la Magie jusqu’à qu’il découvre ce qui lui convient. Il commencera ensuite à développer sa propre façon de faire, et pour filer la métaphore, il deviendra producteur, réalisateur, concepteur, scénariste, vedette et même public de son théâtre. Plus le script sera original et plus la mise en scène aura d’effets sur lui. Il n’aura pas besoin de limiter L’action à son Temple. Ces « drames » pourront être joués dans le monde réel à condition de sacrifier à quelques ajustements de croyances.

Exemple : le magicien imagine qu’il est le seul véritable être humain au monde, que les autres sont des androïdes mis à sa disposition pour l’aider à gérer les situations dans laquelle il se trouve. Cette position devra être conservée jusqu’à ce qu’une autre interprétation vienne la remplacer. Conviction contraire : le magicien se persuade que tous les autres sont des adeptes, sauf lui et que l’univers attend qu’il rattrape son retard pour avancer d’un nouveau pas dans l’évolution. Cette posture doit également être tenue jusqu’à ce qu’une autre interprétation vienne la remplacer. Durant ces phases, le magicien peut choisir de se mettre dans des situations impossibles dont il devra se sortir par lui-même. Ce genre d’exercices, correctement effectués, peuvent induire de nouvelles façons de penser, de nouveaux angles d’approche permettant d’appréhender les choses comme elles sont réellement. Mais pour cela, le magicien doit être capable de voir à long terme et de planifier soigneusement ses actes. Sans un minimum de prudence, la folie risque d’être le seul fruit qu’il récoltera.




Traduction française par Melmothia 2009
Titre original « The Theatre of Magick » extrait de l’ouvrage éponyme de Ray Sherwin, 1982.

source: http://www.kaosphorus.net/148/le-theatre-de-la-magie/

Kasuo Ohno .... butoh










"... cette mort ligotée où l'âme se secoue en vue de regagner un état enfin complet et perméable... "

(Artaud, in L'art et la mort)





Butoh makes its appearance in the West with the groups Dai Rakuda Kan, Tensi Kan, Shankai Juku, and Ariadone in the 1980s at the theater festival in Nancy. Also there are Kazuo Ohno and Tatsumi Hijikata, universally regarded as the founders of Butoh dance. Kazuo Ohno, unlike the others, always appears in women..s clothing, wearing flowers, hats and garish makeup. His self-presentation is poetic without excess, perhaps dictated by his conversion to Christianity. Every company works in a different way, but the premises are fundamentally the same: to seek, express, and investigate the relationship between body and expression; to reject conventional techniques; to discover how interiority can speak through the body, and express itself only by and with the body -- these are the premises of a dance born in the 1950s.

The Ankoku Butoh, the dance of darkness, is a veritable manifesto against the horrors marked on the body by the atomic bomb, against the American oppression that threatened the authenticity of Japanese culture, and not by accident was it born in Japan, in the work of those who felt how the body can externalize better than words all that it has suffered. It is also the search for the origin of the universe, of man, of life and of that tenuous link between life and death. A dance performed with gestures at times imperceptible, minimal, suppressed, suspended in air, hands and fingers contracted, turned upwards as if elevated toward that spirit to which the whole body turns and gives itself. Bodies that are lithe, delicate, slightly curvaceous, covered in a blinding white, shaven heads in which sexual identity no longer exists, is no longer recognizable, supple legs, fetal and sorrowful bodies that lead us into the world of darkness, the world of our soul forever suspended between life and death.




See more about butoh HERE and THERE
many many many thanks to Brandtkalk !






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Marx Brothers... Mirror....

vendredi 23 octobre 2009

Jabberwocky....

Le Jabberwocky (on rencontre parfois "Jabberwock" dans les traductions françaises) est un des poèmes les plus connus de Lewis Carroll qui, en triturant la langue et les mots, y invente le mot-valise (qu'il appelle portmanteau).

["Jabberwocky" is a poem of nonsense verse written by Lewis Carroll, originally featured as a part of his novel Through the Looking-Glass, and What Alice Found There (1871). It is considered by many to be one of the greatest nonsense poems written in the English language.The poem is sometimes used in primary schools to teach students about the use of portmanteau and nonsense words in poetry, as well as use of nouns and verbs.]

Lewis Carroll ouvre ainsi une route nouvelle pour les poètes et la poésie, qu’emprunteront en France, aussi bien Roussel et Artaud que Leiris, puis Queneau et les oulipiens comme Roubaud, Salon, Fournel ou Le Tellier.
Le poème est inséré dans le premier chapitre de De l'autre côté du miroir, où une glace est nécessaire à Alice pour parvenir à le lire, car il est imprimé à l'envers :



`Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe:
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.

"Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch!"

He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he sought --
So rested he by the Tumtum tree,
And stood awhile in thought.

And, as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came!

One, two! One, two! And through and through
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.

"And, has thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
O frabjous day! Callooh! Callay!'
He chortled in his joy.

`Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe."


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Traductions françaises:



Bredoulocheux (Henri Parisot)

Il était reveneure; les slictueux toves
Sur l'allouinde gyraient et vriblaient;
Tout flivoreux vaguaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.

«Au Bredoulochs prends bien garde, mon fils!
A sa griffe qui mord, à sa gueule qui happe!
Gare l'oiseau JeubJeub, et laisse
En paix le frumieux, le fatal Pinçmacaque!»

Le jeune homme, ayant ceint sa vorpaline épée,
Longtemps cherchait le monstre manxiquais,
Puis, arrivé près de l'arbre Tépé,
Pour réfléchir un instant s'arrêtait.

Or, tandis qu'il lourmait de suffèches pensées,
Le Bredoulochs, l'oeil flamboyant,
Ruginiflant par le bois touffeté,
Arrivait en barigoulant!

Une, deux! une, deux! Fulgurant, d'outre en outre,
Le glaive vorpalin perce et tranche : flac-vlan!
Il terrasse la bête et, brandissant sa tête,
Il s'en retourne, galomphant.

«Tu as tué le Bredoulochs!
Dans mes bras, mon fils rayonnois!
O jour frableux! callouh! calloc!»
Le vieux glouffait de joie.

Il était reveneure; les slictueux toves
Sur l'allouinde gyraient et vriblaient;
Tout flivoreux vaguaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.

Published in Carrol Lewis. De l'autre coté du miroir et ce qu'Alice y trouva. Roman traduit de l'anglais par Henri Parisot. Collection Bouquins. Éditions Robert Laffont, Paris, 1989.


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Il était Roparant, et les Vliqueux tarands
Allaient en gibroyant et en brimbulkdriquant
Jusque-là où la rourghe est à rouarghe à ramgmbde et rangmbde à rouarghambde:
Tous les falomitards étaient les chats-huants
Et les Ghoré Uk'hatis dans le Grabugeument

Antonin Artaud, tentative antigrammaticale contre Lewis Carroll. L'Arbalète, issue no. 12











Jan Švankmajer ....

rêves...








mercredi 21 octobre 2009

vendredi 16 octobre 2009

Saint Pol Roux... Le passeur entre deux mondes

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Poète, dramaturge, Saint-Pol-Roux se révèle encore comme l'un des théoriciens les plus hardis et les plus féconds de son temps. Esprit foncièrement indépendant, il a créé tout un lexique pour exprimer sa vision : L'IDEOREALISME est le nom principal qu'il a donné à cette théorie poétique, qu'il appelle aussi L'IDEOPLASTIE, L'HERMAPHRODISME ou la METAPHYSICOCHIMIE. L'idéoréalisme oppose aux savoirs séparateurs une grande synthèse dynamique. Il propose un véritable système de la fusion où s'interpénètrent l'idée et le réel, le matériel et le spirituel, l'humain et le divin. Le terme même d'idéoréalisme, dans son hybridité, exprime la nature spécifique du langage poétique, c'est-à-dire l'union fertile du son et du sens, du signifié et du signifiant. Il définit la poésie comme une force d'union et d'émancipation, comme "l'énergie rayonnante de l'homme" capable de vraiment créer. D'autres termes exaltent les composantes ou les différents visages de la pensée et de l'expression idéoréaliste : LE MAGNIFICISME glorifie l'excès, la générosité et la splendeur de la vie par la luxuriance d'images et la somptuosité verbale. L'IPSEISME loue l'authenticité qui garantit l'originalité du style et du génie. LE SURNATURALISME élève la vertu de l'affranchissement. Il annonce le règne d'une nouvelle préhistoire : LA POSTHISTOIRE. Il prophétise l'avènement d'une création nouvelle : LA SURCREATION. Et prône comme modèle du chef d'oeuvre : LA TRANSFIGURE qui est en même temps dépassement de la figure et figure du dépassement. L'ETERNISME célèbre l'éternel nouveau dont vivra LA REPOETIQUE, LA RES-POETICA, la Chose poétique ayant enfin réintégré l'espace total de la Création.






"Le magnifique jour où la poésie m'apparut dans sa plénitude, mon enthousiasme fut projeté d'un reflux de siècles fanés en un flux de siècles épanouis, sans que j'eusse pour cela cessé de chevaucher le présent, point d'intersection de ces siècles différents.
Alors que d'avantage en avantage évoluèrent toutes les catégories de l'esprit humain, celle esthétique m'avait dès longtemps surpris de son outrecuidance à se garder pareille. Ses instruments, la Poésie les améliora certes, à moins que d'eux-mêmes ils ne se fussent perfectionnés aux termes d'usure, mais jamais elle ne sut accroître son Eden propre, principauté stagnante entre tant de royaumes devenus, et son cercle de beauté se mord toujours la queue à distances égales du coeur universel.
Parmi la délivrance générale la poésie s'avère tenace recluse, non à cause de ses bornes verbales, secondaire obstacle, mais en ce sens que ses champions, asservis à la coutume, refusent de s'aventurer à la conquête de toisons nouvelles.
Comme si le poète ne devait pas être un prodigieux explorateur de l'Absolu!

Les Muses persistent, hélas ! à danser sur leur page d'écrou. De par l'ignorance ou la lâcheté des poètes, la Poésie s'enoisive en son geste ordinaire, et l'on estime suffisant qu'elle saute ainsi que la sauterelle au lieu de s'envoler à la façon de l'aigle avec mission de ramener une proie de soleil. De là ces ressassements autour de règles surannées, de là ce ronron de tradition qui opiace les hommes et engourdit leur ambition, de là ce devenir paralysé, de là que, réincarnation, croirait-on, les premiers poètes foulent encore notre sol et que Virgile aujourd'hui conférencie à l'Odéon, comme hier Pindare collaborait au Mercure de France, comme Eschyle palabrera demain en plein air sur de vieilles dalles défouies, alors que nos orchestres renchérissent sur les lyres, les harpes, les pipeaux, les chalumeaux, les doubles-flûtes, les tambourins, les crotales, et que nos armées ne daignent plus utiliser les flèches parthes ni les redoutables catapultes d'autrefois. Reconnaissons quelques tentatives d'évasion à l'actif de Polymnie et de Melpomène, mais il n'y fut sujet que de ranimer des aciers héroïques ou de jeter des velours sur des épaules de féerie : on courtise la chimère, la cendre, les os, non la chair, non la vérité, non la vie.
L'assaut et l'irruption n'ont pas encore triomphé.

Tout donc évolua jusqu'ici, sauf la Poésie. Oui, tous ont progressé, le juge, le marchand, le mécanicien, le médecin, le philosophe, le chimiste, le physicien, tous ont progressé, mais le rapsode et l'aède psalmodient toujours Au Clair de la Lune et La Marseillaise, ignorant qu'une lente succession d'efforts, expansionnant d'âge en âge l'énergie poétique, l'eût rendue capable de splendeurs progressivement lointaines. Comprendront-ils enfin que la Poésie peut devenir davantage que l'indicatrice de la Science et qu'elle est la Science elle-même dans son initialité ? Signaler n'est-ce pas découvrir ?
Poètes, la poésie s'étiole de fabriquer des chaussons de lisière, fussent-ils de vair ou de diamant.
Elargissez donc le cercle. Même si ce cercle petit est cependant assez grand pour se confondre avec celui du globe, petit lui-même, eh bien ! élargissez-le jusqu'à ce qu'il enserre l'éternité.
Pour servir l'humanité, sourire ou pleurer sur la terre et dans l'heure présente ne suffit point, au poète de creuser plus bas ou de s'élancer plus haut avec la volonté de revenir chargé d'inattendues trouvailles susceptibles d'enorgueillir le monde.

Dispensateur du progrès, le génie s'épanouit au choc des acquisitions passées avec les hypothèses futures sur la place de la Vie.
Qu'est-ce en effet qu'une victoire humaine, sinon de l'avenir ramené au présent, sinon une colonisation partielle de l'Inconnu ? Dieu, Ce pseudonyme de la Beauté ne demande qu'à céder à nos violences, car de même que l'ambition de l'homme consiste à se diviniser, celle de Dieu consiste à s'humaniser; aussi bien la définitive apothéose de la Vie relèvera-t-elle de la collaboration des hommes et de Dieu, celui-ci n'étant que ceux-là prenant conscience de leur force. Poètes, haussons nos âmes par-dessus les horizons et que nos voeux appareillent pour l'Infini !
Ce fut l'erreur du réalisme de promener ses yeux courts autour de notre pot-au-feu et de nous en faire don une seconde fois sans nous ménager les quatre épices et les clous de girofle; à ce compte cet art ne fut qu'une kleptomanie généreuse, puisque par lui nous possédons deux fois une chose qu'il nous emprunta.

L'humanité perdit ainsi des temps à pivoter sur soi. L'office de l'art est d'offrir une première fois, de ce fait l'humanité s'enrichit vraiment. Pourquoi redire, non dire ? pourquoi refaire, non faire ? pourquoi copier, non créer ?
L'art ne consiste pas seulement à voir et à sentir son heure, mais principalement à prévoir et à pressentir par-delà les limites de son temps les idées impratiquées.
L'art véritable est anticipateur. Le poète ayant le don de fasciner
les idées et de se les concilier, toute la sagesse humaine devra tendre à réaliser les conquêtes de celui-ci.
Du jour où le monde entier, sous le conseil d'un humble poète, consentira à voir Dieu et à l'exiger, Dieu se répandra parmi le monde, ; et ce seront, réalisées, toutes les hypothèses des savants.

Saint-Pol-Roux, Paris, 1898


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« Le poète capte le secret et le dévoile sous des lignes provenant du système universel, il relativise l'absolu, disons qu'il l'approche, l'immédiatise »



--> Choix de textes: http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/saintpolrouxpoemes.html



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"Petit Dictionnaire":

Sage-femme de la lumière veut dire : le coq
Lendemain de chenille en tenue de bal : papillon
Péché-qui-tette : enfant naturel
Quenouille vivante : mouton
La nageoire des charrues : le soc
Guêpe au dard de fouet : la diligence
Mamelle de cristal : une carafe
Le crabe des mains : main ouverte
Lettre de faire part : une pie
Cimetière qui a des ailes : un vol de corbeaux
Romance pour narine : le parfum des fleurs
Le ver à soie des cheminées : ?
Apprivoiser la mâchoire cariée de bémols d'une tarasque moderne : jouer du piano
Hargneuse breloque du portail : chien de garde
Limousine blasphémante : roulier
Psalmodier l'alexandrin de bronze : sonner minuit
Cognac du père Adam : le grand air pur
L'imagerie qui ne se voit que les yeux clos : les rêves
L'oméga :
Feuilles de salade vivante : les grenouilles
Les bavardes vertes : les grenouilles
Coquelicot sonore : chant du coq

mardi 6 octobre 2009

André MASSON...

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Le Labyrinthe, 1938

André MASSON met en scène ici un monstre, le Minotaure, mélange d’animal et d’humain, une image qui nourrit des croyances très, très anciennes. André MASSON se réfère au mythe de l’antiquité grecque qui se représentait ce mi-homme mi-taureau comme le résultat de la vengeance de Poséidon, dieu de la mer, qui aurait accouplé son taureau blanc avec Pasiphaé, reine légendaire de Cnossos. Pour se protéger du monstre, les grecs l’auraient enfermé dans un labyrinthe construit par Dédale, avant que Thésée ne réussisse à le tuer.

Ce qui est particulier à l’idée d’André Masson c’est que ce monstre pourrait être n’importe lequel d’entre nous. Les circonstances de la vie peuvent nous rendre monstrueux. Le peintre révèle l’intérieur de l’homme (c’est en cela qu’il est surréaliste) : un chaos de toutes sortes d’éléments. Il a même figuré un labyrinthe où l’on peut s’enfermer au risque de se perdre à l’intérieur de soi-même.

(D. MARY)





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