vendredi 28 août 2009

IL N Y A PLUS RIEN (Léo Ferré)

Écoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture.

Immobile... L'immobilité, ça dérange le siècle.
C'est un peu le sourire de la vitesse, et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps.
Les amants de la mer s'en vont en Bretagne ou à Tahiti...
C'est vraiment con, les amants.

IL n'y a plus rien

Camarade maudit, camarade misère...
Misère, c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois pattes.
L'autre, le destin la lui avait mise de côté pour les olympiades de la bouffe et des culs semestriels qu'elle accrochait dans les buissons pour y aller de sa progéniture.
Elle est partie, Misère, dans des cahots, quelque part dans la nuit des chiens.
Camarade tranquille, camarade prospère,
Quand tu rentreras chez toi
Pourquoi chez toi?
Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du Faubourg
Si tu trouves quelqu'un dans ton lit,
Si tu y trouves quelqu'un qui dort
Alors va-t-en, dans le matin clairet
Seul
Te marie pas
Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée

Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou une crise de nerfs...
Tu pourras lui dire: "Dis, t'as pas honte de t'assumer comme ça dans ta liquide sénescence.
Dis, t'as pas honte? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs?
Espèce de conne!
Et barre-toi!
Divorce-la
Te marie pas!
Tu peux tout faire
T'empaqueter dans le désordre, pour l'honneur, pour la conservation du titre...

Le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir

Il n'y a plus rien

Je suis un nègre blanc qui mange du cirage
Parce qu'il se fait chier à être blanc, ce nègre,
Il en a marre qu'on lui dise: " Sale blanc!"

A Marseille, la sardine qui bouche le Port
Était bourrée d'héroïne
Et les hommes-grenouilles n'en sont pas revenus...
Libérez les sardines
Et y'aura plus de mareyeurs!

Si tu savais ce que je sais
On te montrerait du doigt dans la rue
Alors il vaut mieux que tu ne saches rien
Comme ça, au moins, tu es peinard, anonyme, Citoyen!

Tu as droit, Citoyen, au minimum décent
A la publicité des enzymes et du charme
Au trafic des dollars et aux traficants d'armes
Qui traînent les journaux dans la boue et le sang
Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend
Et si tu veux la prendre elle te fera du charme
Avec le vent au cul et des sextants d'alarme
Et la mer reviendra sans toi si tu es méchant

Les mots... toujours les mots, bien sûr!
Citoyens! Aux armes!
Aux pépées, Citoyens! A l'Amour, Citoyens!
Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos ainés!
Les préfectures sont des monuments en airain... un coup d'aile d'oiseau ne les entame même pas... C'est vous dire!

Nous ne sommes même plus des juifs allemands
Nous ne sommes plus rien

Il n'y a plus rien

Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses, certes!
Des poitrines occupées
Des ventres vacants
Arrange-toi avec ça!

Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle sur les plages reconverties et démoustiquées
C'est-à-dire en enfer, là où Dieu met ses lunettes noires pour ne pas risquer d'être reconnu par ses admirateurs
Dieu est une idole, aussi!
Sous les pavés il n'y a plus la plage
Il y a l'enfer et la Sécurité
Notre vraie vie n'est pas ailleurs, elle est ici
Nous sommes au monde, on nous l'a assez dit
N'en déplaise à la littérature

Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche
A l'encyclopédie, les mots!
Et nous partons avec nos cris!
Et voilà!

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Je suis un chien?
Perhaps!
Je suis un rat
Rien

Avec le coeur battant jusqu'à la dernière battue

Nous arrivons avec nos accessoires pour faire le ménage dans la tête des gens:
"Apprends donc à te coucher tout nu!
"Fous en l'air tes pantoufles!
"Renverse tes chaises!
"Mange debout!
"Assois-toi sur des tonnes d'inconvenances et montre-toi à la fenêtre en gueulant des gueulantes de principe

Si jamais tu t'aperçois que ta révolte s'encroûte et devient une habituelle révolte, alors,
Sors
Marche
Crève
Baise
Aime enfin les arbres, les bêtes et détourne-toi du conforme et de l'inconforme
Lâche ces notions, si ce sont des notions
Rien ne vaut la peine de rien

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Invente des formules de nuit: CLN... C'est la nuit!
Même au soleil, surtout au soleil, c'est la nuit
Tu peux crever... Les gens ne retiendront même pas une de leur inspiration.
Ils canaliseront sur toi leur air vicié en des regrets éternels puant le certificat d'études et le catéchisme ombilical.
C'est vraiment dégueulasse
Ils te tairont, les gens.
Les gens taisent l'autre, toujours.
Regarde, à table, quand ils mangent...
Ils s'engouffrent dans l'innommé
Ils se dépassent eux-mêmes et s'en vont vers l'ordure et le rot ponctuel!

La ponctuation de l'absurde, c'est bien ce renversement des réacteurs abdominaux, comme à l'atterrissage: on rote et on arrête le massacre.
Sur les pistes de l'inconscient, il y a des balises baveuses toujours un peu se souvenant du frichti, de l'organe, du repu.

Mes plus beaux souvenirs sont d'une autre planète
Où les bouchers vendaient de l'homme à la criée

Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les vaches
Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes...
Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
Alors, becquetons!
Côte à l'os pour deux personnes, tu connais?

Heureusement il y a le lit: un parking!
Tu viens, mon amour?
Et puis, c'est comme à la roulette: on mise, on mise...
Si la roulette n'avait qu'un trou, on nous ferait miser quand même
D'ailleurs, c'est ce qu'on fait!
Je comprends les joueurs: ils ont trente-cinq chances de ne pas se faire mettre...
Et ils mettent, ils mettent...
Le drame, dans le couple, c'est qu'on est deux
Et qu'il n'y a qu'un trou dans la roulette...

Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir

Te marie pas
Ne vote pas
Sinon t'es coincé

Elle était belle comme la révolte
Nous l'avions dans les yeux,
Dans les bras dans nos futals
Elle s'appelait l'imagination

Elle dormait comme une morte, elle était comme morte
Elle sommeillait
On l'enterra de mémoire

Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon petit!

Transbahutez vos idées comme de la drogue... Tu risques rien à la frontière
Rien dans les mains
Rien dans les poches

Tout dans la tronche!

- Vous n'avez rien à déclarer?
- Non.
- Comment vous nommez-vous?
- Karl Marx.
- Allez, passez!

Nous partîmes... Nous étions une poignée...
Nous nous retrouverons bientôt démunis, seuls, avec nos projets d'imagination dans le passé
Écoutez-les... Écoutez-les...
Ça rape comme le vin nouveau
Nous partîmes... Nous étions une poignée
Bientôt ça débordera sur les trottoirs
La parlote ça n'est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c'est bien, mais il faut bien fermer sa gueule...
Toutes des concierges!
Écoutez-les...

Il n'y a plus rien

Si les morts se levaient?
Hein?

Nous étions combien?
Ça ira!

La tristesse, toujours la tristesse...

Ils chantaient, ils chantaient...
Dans les rues...

Te marie pas Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan
Et ceux de Mexico
Bras dessus bras dessous
Bien accrochés au rêve

Ne vote pas

0 DC8 des Pélicans
Cigognes qui partent à l'heure
Labrador Lèvres des bisons
J'invente en bas des rennes bleus
En habit rouge du couchant
Je vais à l'Ouest de ma mémoire
Vers la Clarté vers la Clarté

Je m'éclaire la Nuit dans le noir de mes nerfs
Dans l'or de mes cheveux j'ai mis cent mille watts
Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande
J'imagine le téléphone dans une lande
Celle où nous nous voyons moi et moi
Dans cette brume obscène au crépuscule teint
Je ne suis qu'un voyant embarrassé de signes
Mes circuits déconnectent
Je ne suis qu'un binaire

Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Il est tôt Lève-toi Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis
Roule Roule mon fils vers l'étoile idéale
Tu te rencontreras Tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça ses fait à l'envers dans ce monde inventif
Tu reprendras ta voix de fille et chanteras Demain
Retourne tes yeux au-dedans de toi
Quand tu auras passé le mur du mur
Quand tu auras autrepassé ta vision
Alors tu verras rien

Il n'y a plus rien

Que les pères et les mères
Que ceux qui t'ont fait
Que ceux qui ont fait tous les autres
Que les "monsieur"
Que les "madame"
Que les "assis" dans les velours glacés, soumis, mollasses
Que ces horribles magasins bipèdes et roulants
Qui portent tout en devanture
Tous ceux-là à qui tu pourras dire:

Monsieur!
Madame!

Laissez donc ces gens-là tranquilles
Ces courbettes imaginées que vous leur inventez
Ces désespoirs soumis
Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe pour aller gagner VOS sous,
Avec les poumons resserrés
Les mains grandies par l'outrage et les bonnes moeurs
Les yeux défaits par les veilles soucieuses...
Et vous comptez vos sous?
Pardon.... LEURS sous!

Ce qui vous déshonore
C'est la propreté administrative, écologique dont vous tirez orgueil
Dans vos salles de bains climatisées
Dans vos bidets déserts
En vos miroirs menteurs...

Vous faites mentir les miroirs
Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que vous êtes
Cravatés
Envisonnés
Empapaoutés de morgue et d'ennui dans l'eau verte qui descend
des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour soumettre
A un point donné
A heure fixe
Pour vos narcissiques partouzes.
Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître
Tellement vous êtes beaux
Et vous comptez vos sous
En long
En large
En marge
De ces salaires que vous lâchez avec précision
Avec parcimonie
J'allais dire "en douce" comme ces aquilons avant-coureurs et qui racontent les exploits du bol alimentaire, avec cet apparat vengeur et nivellateur qui empêche toute identification...
Je veux dire que pour exploiter votre prochain, vous êtes les champions de l'anonymat.

Les révolutions? Parlons-en!
Je veux parler des révolutions qu'on peut encore montrer
Parce qu'elles vous servent,
Parce qu'elles vous ont toujours servis,
Ces révolutions de "l'histoire",
Parce que les "histoires" ça vous amuse, avant de vous intéresser,
Et quand ça vous intéresse, il est trop tard, on vous dit qu'il s'en prépare une autre.
Lorsque quelque chose d'inédit vous choque et vous gêne,
Vous vous arrangez la veille, toujours la veille, pour retenir une place
Dans un palace d'exilés, entouré du prestige des déracinés.
Les racines profondes de ce pays, c'est Vous, paraît-il,
Et quand on vous transbahute d'un "désordre de la rue", comme vous dites, à un "ordre nouveau" comme ils disent, vous vous faites greffer au retour et on vous salue.

Depuis deux cent ans, vous prenez des billets pour les révolutions.
Vous seriez même tentés d'y apporter votre petit panier,
Pour n'en pas perdre une miette, n'est-ce-pas?
Et les "vauriens" qui vous amusent, ces "vauriens" qui vous dérangent aussi, on les enveloppe dans un fait divers pendant que vous enveloppez les "vôtres" dans un drapeau.

Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras!
La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis.
Vous avez le style du pouvoir
Vous en arrivez même à vous parler à vous-mêmes
Comme si vous parliez à vos subordonnés,
De peur de quitter votre stature, vos boursouflures, de peur qu'on vous montre du doigt, dans les corridors de l'ennui, et qu'on se dise: "Tiens, il baisse, il va finir par se plier, par ramper"
Soyez tranquilles! Pour la reptation, vous êtes imbattables; seulement, vous ne vous la concédez que dans la métaphore...
Vous voulez bien vous allonger mais avec de l'allure,
Cette "allure" que vous portez, Monsieur, à votre boutonnière,
Et quand on sait ce qu'a pu vous coûter de silences aigres,
De renvois mal aiguillés
De demi-sourires séchés comme des larmes,
Ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne vous êtes jamais décidé à empourprer votre visage,
Je me demande comment et pourquoi la Nature met
Tant d'entêtement,
Tant d'adresse
Et tant d'indifférence biologique
A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères,
Depuis les jupes de vos femmes matrimoniaires
Jusqu'aux salonnardes équivoques où vous les dressez à boire,
Dans votre grand monde,
A la coupe des bien-pensants.

Moi, je suis un bâtard.
Nous sommes tous des bâtards.
Ce qui nous sépare, aujourd'hui, c'est que votre bâtardise à vous est sanctionnée par le code civil
Sur lequel, avec votre permission, je me plais à cracher, avant de prendre congé.
Soyez tranquilles, Vous ne risquez Rien

Il n'y a plus rien

Et ce rien, on vous le laisse!
Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez,
Nous, on peut pas.
Un jour, dans dix mille ans,
Quand vous ne serez plus là,
Nous aurons TOUT
Rien de vous
Tout de nous
Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse,
Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles,
Le sourire des bêtes enfin détraquées,
La priorité à Gauche, permettez!

Nous ne mourrons plus de rien
Nous vivrons de tout

Et les microbes de la connerie que nous n'aurez pas manqué de nous léguer, montant
De vos fumures
De vos livres engrangés dans vos silothèques
De vos documents publics
De vos règlements d'administration pénitentiaire
De vos décrets
De vos prières, même,
Tous ces microbes...
Soyez tranquilles,
Nous aurons déjà des machines pour les révoquer

NOUS AURONS TOUT

Dans dix mille ans.



>>>>>>>>>>>>> http://www.deezer.com/en/#music/result/all/il%20n%27y%20a%20plus%20rien



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mardi 25 août 2009

un clavier divin ?...

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Louise Bougeois... some works...

The Color of Pomegranates/Sayat Nova, extracts (Sergueï Paradjanov)...








> full version: http://video.google.fr/videoplay?docid=7336544791488368382&ei=ENmTSqbjEpLW-AbM6JT-CQ&q=sayat+nova+&hl=fr

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>>> http://simpleappareil.free.fr/lobservatoire/index.php?2008/02/17/47-sayat-nova

Fernando Pessoa... extrait de Poèmes désassemblés...

Le type qui prêche ses vérités à lui
est encore venu hier me parler.
Il m'a parlé de la souffrance des classes laborieuses
(non des êtres qui souffrent, tout bien compté les vrais souffrants).
Il parla de l'injustice qui fait que les uns ont de l'argent,
et que les autres ont faim - faim de manger
ou faim du dessert d'autrui, je ne saurai dire.
Il parla de tout ce qui pouvait le mettre en colère.

Comme il doit être heureux, celui qui peut penser au malheur des autres !
Et combien stupide, s'il ignore que le malheur des autres n'est qu'à eux,
et ne se guérit pas du dehors,
car souffrir ce n'est pas manquer d'encre
ou pour la caisse n'avoir pas de feuillards !

Le fait de l'injustice est comme le fait de la mort.
Pour moi, je ne ferais pas un pas afin de modifier
ce qu'on appelle l'injustice du monde.
Mille pas que je ferais à cet effet,
cela ne ferait que mille pas de plus.

J'accepte l'injustice comme j'accepte qu'une pierre ne soit pas ronde,
ou qu'un chêne-liège ne soit né pin ou chêne à glands.

J'ai coupé l'orange en deux, et les deux parties ne pouvaient être égales;
pour laquelle ai-je été injuste - moi qui vais les manger toutes les deux ?



(Le gardeur de troupeaux, Poèmes désassemblés, Fernando Pessoa)


...

Rudolf KURZ...

kurz
(Seed)

kurz
(Parachute)

kurz
(Acrobats)

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(Woman from the sea)


...

mardi 4 août 2009

L'homme cosmique

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Choquer... Plaire... (Nietzsche)

"Les hommes qui préfèrent choquer, et par là déplaire, désirent la même chose que ceux qui veulent ne pas choquer et plaire, seulement à un degré bien plus haut et indirectement, au moyen d'une marche intermédiaire par laquelle en apparence ils s'éloignent de leur but. Ils veulent l'influence et la puissance, et par cette raison montrent leur supériorité, même de manière à causer une impression désagréable ; car ils savent que celui qui enfin est parvenu à la puissance plaît presque en tout ce qu'il fait et dit, et que là même où il déplaît, il a l'air encore malgré tout de plaire. L'esprit libre aussi et de même le croyant veulent la puissance afin de plaire un jour par elle ; si à cause de leur théorie un mauvais destin, persécution, prison, supplice, les menace, ils prennent plaisir à la pensée que de cette façon leur théorie se gravera dans l'humanité par le fer et le feu ; ils l'acceptent comme un moyen douloureux, mais efficace, bien qu'agissant tardivement, d'arriver encore malgré tout à la puissance."


(Friedrich NIETZSCHE, L'homme avec lui-même)

lundi 3 août 2009

Extract from Fahrenheit 451 (F. Truffaut) ...







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Marcel Marceau


Sur la musique hindoue (in Bharata)... - René Daumal

"Le grand ennemi de l'homme,
contre qui il engage dès sa naissance une lutte à mort,
c'est le Temps. La conscience du temps pur, vide de contenu, est
intolérable. [...] L'homme d'Occident cherche par tous les
moyens à tuer le temps, en le remplissant de sensations,
d'émotions, de raisonnements, d'agitations diverses, ou,
beaucoup plus communément, d'automatismes qui remplacent tout
cela et lui permettent de dormir vingt-quatre heures par jour sous
les apparences correctes d'une mécanique humaine plus ou moins
bien réglée. Il invente des calendriers et des horloges
pour transformer l'impitoyable durée, forme de sa vie, en un
temps mathématique, extérieur à lui, qui n'est
plus qu'une loi objective de la nature, étrangère à
son sens intime. Mais souvent tous ces voiles jetés sur la
réalité du temps se révèlent vains et
illusoires; la durée ressuscite douloureusement sous la forme
du cruel ennui. L'Oriental, en général, a choisi un
autre mode de lutte – je parle de l'Oriental qui pense (je précise
que l'Oriental dont je parle est l'Oriental conscient; or il l'est
d'autant plus qu'il s'affirme ennemi de l'Occidental impérialiste
et colonisateur...); il ne cherche pas à tuer le temps sous
les mille façons de dormir, c'est à dire en se tuant
soi-même. Au contraire, en vivant le temps, il l'identifie à
lui-même et l'annihile dans sa propre conscience. [...]

Or, toute musique se meut dans la
durée, mesure la durée; comme la durée, elle est
succession irréversible. La musique est donc, quelle qu'elle
soit, le temps concrétisé; elle est du temps audible.
Ce merveilleux instrument nous donne prise sur l'insaisissable temps.
Il est donc à prévoir que l'homme de l'Ouest et l'homme
de l'Est se serviront de cet art pour combattre le vieil ennemi,
chacun a sa manière. [...]

L'occidental recherche dans la musique
la procession sonore qui revêt et qui dissimule la durée.
Les musiciens de l' Inde, sinon de tout l'Orient, ne veulent le son
que pour mettre en évidence le silence. Ainsi dix rayons, dit
Lao-Tseu, se réunissent pour former un moyeu; mais c'est le
vide qui est au centre qui permet l'usage de la roue; de même
un vase est utile, non par le plein de ses parois, mais par le vide
qu'elles déterminent. La musique orientale vise avant tout à
sculpter dans la durée une succession de "moments de
silence"; et l'auditeur goûte chacun de ces moments comme
la substance de sa propre vie, de sa conscience malheureuse d'être
limitée, enfermée dans une peau individuelle.

Le mot « écouter »
prend deux sens bien différents s'il s'agit de l'une ou de
l'autre de ces manifestations sonores. L'Occidental goûte, à
entendre la musique, un double plaisir, mélodique et
harmonique. Dans le cas le plus favorable, lorsque la mélodie
n'est pas simplement une basse satisfaction de ses instincts, de ses
passions, éveillées et calmées agréablement
par la puissance des successions sonores, ce qu'il admire, c'est
surtout la résolution habile d'un problème posé
par le musicien. La première mesure rompt brutalement le
silence. Fiat sonum: et le son est séparé d'avec le
silence; l'équilibre est rompu, et le monde mélodique
est déjà en germe, avec ses lois, dans cette mesure
initiale. Pour achever sa gloire de démiurge, le musicien doit
développer ce germe, jusqu'à rétablir, après
divers incidents, diverses péripéties, l'équilibre
du silence primitif. Mais, dès le commencement, une loi est
imposée à ce développement sonore; la première
rupture de silence en provoque une seconde, puis une troisième,
et ainsi de suite. Cet étalage de puissance créatrice
peut, dans le cas d'un génie, vous faire passer sur toute la
peau le granuleux hérissement du sublime. Le plus souvent, je
préfère regarder froidement l'auditeur; anxieusement
suspendu au thème mélodique, il se demande à
chaque instant comment le musicien va se tirer de cette difficulté
où il s'est jeté; et il soupire d'admirative
satisfaction lorsque finalement cette succession d'équations
sonores se résout avec art dans le silence final. Le temps a
été vaincu. La réalité qui se cache
derrière la mélodie, à qui s'adresse
l'admiration, c'est celle d'une volonté individuelle assez
puissante pour s'imposer elle-même à travers la durée.

L'homme d'Asie n'a que faire de cet
art. Pour l'Hindou, particulièrement, les problèmes
mélodiques sont résolus depuis des siècles.
L'individualisme de l'artiste occidental qui veut se surpasser en
réalisant par sa création l'image d'un dieu personnel à
l'oeuvre, n'a pas cours chez lui. Une tradition antique a limité
le nombre de thèmes musicaux – on dirait peut-être
mieux, pour traduire l'intraduisible mot “Rag”, des colorations
musicales. La technique du “Rag” est minutieusement régie
par des règles très précises et très
compliquées. Chaque “Rag” est lié à une
heure du jour, à une saison de l'année, à un
état d'âme; il est mâle ou femelle, il a telle ou
telle couleur. Les Rags se rattachent aussi à des sujets
mythologiques précis; ils sont représentés
souvent, dans les arts plastiques, comme des êtres vivants.
[...]

Le musicien occidental comprendra que
le musicien se sert des "Rags" un peu comme le poète des mots,
fixés dans une forme grammaticale, mais qui dans sa bouche
développent d'infinis réseaux de correspondances. Mais
le "Rag" est d'une bien plus grande souplesse; avec un seul de ces
thèmes que régissent des règles ancestrales, le
musicien, par la seule répétition nuancée
librement, par des entrelacements du "Rag" avec lui-même,
parvient à la réalisation de l'objet propre de son art:
l'expression de moments de silence, auxquels les thèmes
traditionnels ne font que donner des colorations précises, qui
permettent à chaque auditeur d'en goûter plus
concrètement la saveur de souffrance. Et chacun de ces thèmes
est d'une simplicité universellement humaine: le soir, le
matin, le printemps, la nuit... Je comprends qu'un Occidental
vraiment et purement occidental ne puisse supporter de se sentir
durer ainsi nu et seul, dans un midi qui s'éternise, ou dans
la première veille nocturne qui n'en finit plus, qui revient
impitoyable dix fois par minute, allongeant chaque pincement de
corde, pour lui, en une éternité d'ennui. Mais si, par
un acte d'amour, il s'identifie à l'auditeur hindou, à
la musique, au musicien lui-même, s'il a le courage d'affronter
sa propre solitude, il entendra alors, mais avec autre chose que son
oreille de chair, une nouvelle musique, insoupçonnée.

Chaque mesure retourne à chaque
instant au silence. Dans chaque silence il se retrouve seul en face
de lui-même. Et c'est toujours le même moment. La durée,
résolue en instants identiques, s'évanouit en un unique
acte de conscience. L'homme se saisit tel qu'il est, dans la présence
concrète d'un instant. Une autre mélodie naît:
non plus de la succession des notes, mais des relations entre ces
moments de silence. De là ce sentiment, souvent noté
par des Occidentaux, d'une musique qui se développe selon une
nouvelle dimension du temps; qui impose sa règle, non plus
seulement à l'existence corporelle, mais à un ordre
plus intime, à une forme plus subtile de l'existence. Aussi
est-il impossible de noter, avec notre système d'écriture,
ce qui constitue l'essentiel d'un "Rag" hindou.

Et la tradition musicale de l'Inde sait
très bien qu'un "Rag" donné doit mettre l'auditeur en
état de se saisir dans la réalité nue de son
existence immédiate. Le "Rag" est donc une vérité;
il ne prend tout son sens que joué dans le moment pour lequel
il a été conçu." [...]












"Music is the silence between the notes" (Debussy)

Tribute to Satprem (Zaz Zetoun Mind)







Please have a look at:
--> http://zazzetounmind.blogspot.com/2009/07/satprem.html !!!!!

The snake can't sleep (The Lounge Lizards)




John Lurie & the Lounge Lizards playing Snakes can´t sleep (a.k.a the hanging on "voice of chunk").
Germany 1989.
Musicians are:
John Lurie (saxophone)
Ray Nathanson (saxophone)
Curtis Fowlkes (trombone)
Evan Lurie (piano)
Brandon Ross (guitar)
Al MacDowell (bass)
Calvin Weston (drums)
E.J. Rodriguez (percussion)





** Many thanks to Pierrot